La Liberté, 2 avril 2011, par Alain Favarger

Carnets de bord, suite

Après À ma fenêtre le matin […], voici une nouvelle tranche des carnets de bord de l’écrivain autrichien, parus en allemand en 2005 sous le titre Gestern unterwegs. Cette suite, limpidement traduite par Hier en chemin, traite des années 1987-1990. Elle confirme l’intérêt des propos du diariste, souvent plus passionnant et incisif dans cette forme d’écriture que dans les constructions alambiquées de ses romans. On y retrouve, avant les faux pas suscités par la guerre des Balkans, ce désir de clarification avec soi-même qui caractérise la démarche intellectuelle et existentielle de l’écrivain. Au fil d’une écriture fragmentaire assez fascinante qui n’est pas sans rappeler la figure des grands moralistes français des 17e et 18e siècles. « Est artiste celui qui donne à entendre le souffle du monde », dit en manière d’autoportrait l’auteur, chantre de la lenteur, qui croit aussi au péché mortel ou encore à la vertu féconde de l’amertume.

On découvre également dans ce volume les traces des multiples pérégrinations de Handke (KEYSTONE), de l’Espagne au Japon, via la France profonde. Celle-ci sillonnée de part en part jusqu’aux plus infimes extases, comme en procure la contemplation des volutes dansantes d’une sculpture médiévale. Plaisir de la marche, éloge de l’attente (de quoi ? de la répétition, voyons, sans laquelle il n’y a pas de vraie joie), l’écrivain décline les multiples états de sa condition d’ascète hédoniste. Qui tire son miel de ses dons d’observation (de la nature, de l’art, de la beauté d’un visage, d’un dialogue incessant avec les livres), dans l’idée que le vrai érudit est « celui-là seul qui est animé par ce qu’il sait ou ce qu’il a appris… »