Lire, avril 2011, par Baptiste Liger

En territoire ennemi

 S’il suscita la polémique en raison de son soutien à Slobodan Milosevic, l’Autrichien Peter Handke reste, quoi qu’il en soit, une plume européenne de premier plan. […]

Doit-on juger l’œuvre d’un auteur à la lumière des polémiques qu’il a provoquées ? Cette question, aux airs de vieilles lunes, s’impose toutefois d’elle-même quand on évoque désormais le nom de Peter Handke. La dernière fois que les médias se sont intéressés au cas de l’Autrichien, c’était en 2006, lorsque Marcel Bozonnet, alors administrateur général de la Comédie Française, choisit d’annuler les représentations de la pièce Voyage au pays sonore ou l’Art de la question. La raison de ce boycott ? Son soutien au peuple serbe et, surtout, sa présence remarquée aux funérailles de Slobodan Milosevic (qu’il avait défendu – sans pour autant témoigner – à l’occasion de son procès devant le TPI de La Haye). Ainsi, Peter Handke – nostalgique de la Yougoslavie d’antan – se trouve affublé d’une étiquette d’« infréquentable » dans l’Hexagone, pays où pourtant il réside depuis 1991. Plus précisément à Chaville, Hauts-de-Seine. Au-delà de toutes les prises de position politique, la France devrait s’honorer de la présence sur son territoire de l’un des écrivains européens les plus importants. Car – faut-il le rappeler, encore et encore ? – la controverse ne doit pas escamoter l’œuvre, considérable, de Peter Handke, aujourd’hui âgé de soixante-huit ans : L’Angoisse du gardien de but au moment du penalty, La Femme gauchère, Le Malheur indifférent, L’Absence, etc. Et, à la lumière des quatre ouvrages qui paraissent actuellement en France, force est de constater que cet homme an parfum de soufre n’a rien perdu de sa superbe […].

Une exploration poétique de l’Europe

Présenté malicieusement comme un « récit », ce texte1 vénéneux est une invitation au voyage – sur la Morava, un affluent du Danube –, celle d’un écrivain, ou plutôt un « ancien auteur », accueillant quelques amis anonymes pour un dîner sur sa « péniche-hôtel », amarrée dans la région de Porodin. […] C’est le début d’une sorte de vagabondage somnambulique, prétexte à une exploration poétique (animalière ou sportive, à l’occasion) de l’Europe – doublée d’une interrogation sur la forme narrative. On aime se perdre dans les méandres de cette croisière décidément pas comme les autres, magnifiquement mise en lumière par une traduction époustouflante d’Olivier Le Lay (déjà auteur d’un travail exceptionnel sur Elfriede Jelinek ou Alfred Döblin). Le Lay a su également trouver une forme parfaite pour retranscrire en français les notes d’Hier en chemin – soit les carnets de Peter Handke rédigés entre novembre 1987 et juillet 1990 –, mélange de songes philosophiques, de haïkus, et de brefs développements sur tout et n’importe quoi. Entre autres perles, on ne résiste pas au plaisir de citer cet aphorisme : « Si tu ne saisis pas l’espace, ne te demande pas pourquoi tu ressens un vertige. »
[…]

 

1. La Nuit morave (Die Morawische Nacht), Gallimard, coll. « Du monde entier », 2011.