Télérama, 26 février 2003, par Michèle Gazier

Les romans voyageurs

L’auteur argentin s’élance sur les traces du chevalier à la triste figure.

[…] Dans Lignes du Quichotte, qui réunit deux courts textes – une conférence et un article –, Juan José Saer nous invite ainsi à redécouvrir l’inépuisable livre de Cervantès. Sans emphase, il en renouvelle la lecture. Non, Don Quichotte n’est pas une épopée, nous démontre-t-il avec brio. À l’encontre de bien des interprétations ésotériques, psychologiques ou autres que l’on fait de l’ouvrage, Saer nous invite à accueillir « ce foisonnement d’évidences […] qui nous aveuglent pratiquement à chaque page ». L’une d’elles étant que le parcours de don Quichotte n’a rien à voir avec celui d’un héros épique dont le but est constamment d’avancer, de progresser. Quichotte, lui, revient sans cesse à son point de départ, prisonnier de sa folie et des contingences d’un monde qu’il ne peut transcender. Un monde où règne, selon la belle expression de Kafka, « le silence des sirènes », bien plus terrible que leur chant, et que don Quichotte tente en vain de fuir à chacune de ses échappées. C’est la lecture des romans de chevalerie qui l’a plongé dans cet état. Il est le premier d’une longue lignée de personnages que les livres transforment. Madame Bovary de Flaubert, Ulysse de Joyce sont, entre autres, ses héritiers. […]