Le Méridional, 22 septembre 1990

Juan Belmonte, la figura recomposée

II est des souvenirs qui, sans en avoir l’air, esquissent une légende. Ainsi, quand dans les années 30 Juan Belmonte se souvenait de son enfance, une image le hantait : celle du jour où, assis dans une calèche, il entendit hurler dans tout Séville « Un taureau a tué Espartero ! » À partir de ce moment-là, tauromachie et mort entamaient sous ses yeux un long ballet qui ne cessa que le jour où le torero se donna la mort.

Une familiarité avec la camarde mais aussi le désir de briller dans l’arène, c’est ce que l’on découvre au long de la passionnante biographie, composée à partir d’entretiens entre le maestro et Manuel Chaves Nogales. Parue en 1935 en Espagne, elle est enfin offerte aux aficionados français grâce à l’éditeur Verdier et au traducteur Antoine Martin.

[…] L’ouvrage s’attache particulièrement à décrire les années de galère de celui qui allait révolutionner le toreo moderne. Un toreo « de bras », les deux pieds plantés en terre, dont la biographie vient éclairer l’origine. Issu d’une famille pauvre (le père est quincaillier), le jeune Juan n’avait qu’une solution quand la rage de toréer lui tenaillait le ventre : isoler un taureau dans les pâturages de la Tablada et, à la lueur d’une lampe, rester immobile pour arracher quelques passes à l’adversaire fondu dans la nuit.

Le sentier de la gloire

Accompagné de voyous du quartier, puis plus tard conseillé par le banderillero Calderon, Belmonte connaîtra ainsi toutes les descentes aux enfers : capeas de village sordides, novilladas suicidaires, travaux alimentaires… De quoi vous forger un moral et une combativité à toute épreuve !
« À quel moment naquit en moi la résolution d’être torero ? Je ne sais pas », confie l’intéressé. Toujours est-il qu’à partir de 1913, date de son alternative, la voie du succès lui sera définitivement ouverte. En Espagne comme en France (à Toulouse) ou en Amérique du Sud, les triomphes s’accumulent, lui posant quelques problèmes pour préserver sa vie privée et recouvrer la santé. Souvent, c’est physiquement abattu qu’il s’achemine vers les arènes, mais une fois le seuil de celles-ci franchi, il est soudain transcendé, grandi, capable d’enchaîner sur un mètre carré une série de véroniques sublimes. « De toute façon, la tauromachie est un exercice spirituel » ne se lassait-il jamais de répéter…