L’Éclair, 10 avril 2008, par Pierre Vidal

Un torero du troisième type

On le disait divin. À son égard, pourtant, il n’est qu’une certitude : Rafael était chauve. Du parcours paradoxal du torero, de la trajectoire improbable d’un homme, banal dans ses manies mais génial dans son destin, Jacques Durand éclaire la cohérence. « Les histoires de Gallo déposent une fine poudre dans les récits de toros. Celle de perlimpinpin », nous avertit l’auteur.

Ce n’est pas rien que de reconstituer la géographie de Rafael, de le suivre à la trace dans sa succession de fuites éperdues et de triomphes inouïs ; dans ses disparitions inattendues et ses retours somptueux sur des bateaux de rêve, sans une pesette en poche, mais espéré comme un messie par une foule de dévots.

Quelle logique anime ce phénix ? On le croit perdu corps et biens à New York, il revient un beau matin, accueilli par des centaines de zélotes à la passerelle du paquebot. On lui jette des couleuvres pour l’effrayer, il dessine en leur aimable compagnie des faenas de rêve.

Contre toute logique, ses fidèles croient toujours à sa résurrection ; les faits leur donnent raison. « El Gallo fut un torero du troisième type : il ne savait pas ce qu’il faisait et, commentant ses propres faenas, il avouait l’ignorance de ce qui lui était arrivé, tout en précisant qu’à chacune de ses passes les larmes lui coulaient des yeux. »

Il n’eut qu’un seul amour : la Pastora Império, reine du baile admirée par Machado, Valle-Inclán et dans leur sillage toute l’Espagne. Mariage détonant qui dura le temps d’un de ces cigares qui furent les compagnons les plus fidèles de Rafael. Ils semblaient suffire à un bonheur somme toute simple : il ne pouvait se séparer de son Havane.
On le trouva un soir caché dans l’infirmerie des arènes de Barcelone où il fuyait la vindicte du respectable, tranquille comme Baptiste, en train de faire des ronds de fumée. Car pour Rafael : « Le bonheur, c’est fumer un gros cigare en n’étant plus que ça, un téteur de double Corona sans plus de souci qu’une bonne combustion. »

D’où sortait-il ces kirikis soyeux, ces serpentinas légères, ces trincheras autoritaires, ces recibirs fulgurants, ce fumiste invétéré si peu préoccupé de l’opprobre comme de la gloire, de la fortune comme de la misère ? De son âme, sans aucun doute.