Elle, 30 octobre 2009, par Anne Diatkine

OVNI. Lost in Bordelais

Gérard Bobillier, le fondateur des éditions Verdier mort le 5 octobre dernier, avait le chic pour découvrir des auteurs dont chaque mot est un trésor fragile. C’est ainsi qu’il fit paraître l’œuvre de Pierre Michon. Avec Le Voyage à Bordeaux, l’éditeur témoigne encore une fois de son talent de chercheur d’or, tant ce court roman est constitué de pépites. Il se lit lentement car on ne peut s’empêcher d’annoter à peu près toutes les phrases comme autant de merveilles qu’il est toujours utile d’avoir en tête. Le livre est construit en une série d’alinéas précédés d’idéogrammes, « parfois avec un toit au-dessus de la tête, parfois sans », qui sont autant de jolis dessins incompréhensibles. Va-t-il falloir se munir d’un dictionnaire franco-japonais ? Laissons cette tâche à Yuna, qui s’arrête à Bordeaux, pour « croquer une nouvelle langue » et que le lecteur suit dans sa découverte des bizarreries françaises. Yuna « essaie » des mots, comme d’autres des vêtements. Elle dérobe des expressions et s’aperçoit qu’elles ne lui vont pas. Elle vit une éducation sentimentale dans une langue d’emprunt avec laquelle elle joue tel un jeune chat, et ses rencontres mettent en relief l’étrangeté de chacun : ainsi, Nancy, au « sommeil profond comme un ravin et qui mangeait de tout, de A à Z, de l’avocat aux zakouski ».