Bulletin critique du livre en français, janvier 2005

Sur la rive du Gange est l’avant-dernier ouvrage – Wenn es soweit ist, Quand l’heure viendra, publié en 1998, a déjà été traduit en 2000 chez Verdier –, de Joseph Winkler, écrivain autrichien né en 1953 en Carinthie dont l’œuvre, diffusée en France avec persévérance par les éditions Verdier, apparaît peu à peu comme une des plus singulières de notre temps. Après l’Italie, Naples (dans Cimetière des oranges amères) et Rome (dans Natura morta), l’Inde de Varanasi (Bénarès) nourrit la méditation funèbre d’un auteur appliqué à restituer la dimension tout à la fois triviale et tragique de la vie. S’ouvrant par une citation de Michaux, « Mon récit sera la branche noire qui fait un coude dans le ciel », Sur la rive du Gange emmène le lecteur sur les ghâts de Bénarès où sont incinérés les morts, à l’exception des enfants et des saints, directement immergés dans le fleuve sacré. Le narrateur décrit avec la plus extrême minutie le spectacle qui s’offre à lui, en une série de tableaux où le détail s’ajoute au détail, jusqu’à ce que le fragment s’achève ou que surgisse, par une association de la mémoire, un souvenir intense de l’enfance en Carinthie, ou un rêve. Par moments stupéfait d’horreur ou d’effroi, le lecteur se laisse hypnotiser par ce récit remarquablement traduit, qui l’entraîne très loin dans une évocation de l’envers de la vie, où les mots acquièrent une force quasi picturale.