Le Monde, 1er juillet 1994, par Pierre Deshusses

Les frontières du réel se diluent dans ce panoptique de la douleur où chacun observe l’autre, enfermé dans son enfer. Les vagues d’hallucinations et de délire brassent les hommes et les animaux dans un tourbillon de copulation frénétique. Souvent il redoute d’être pris pour cible, abattu dans la rue ou par la fenêtre de sa chambre. Mais cette peur qui le tenaille, combien il la désire ! « La nostalgie à nouveau me prend de m’étendre sur le sol tandis que mon bourreau fait cingler la corde de chanvre sur mon corps recroquevillé. »

Dans cette exigence masochiste qui le pousse à retourner dans l’arène pour donner sa chair aux lions, son imagination convoque des délices inattendus : se faire saillir par un ange au sexe rouge pâle, offrir des plaisirs interlopes à un inconnu qui, dans l’extase et la nuit, lui enfoncerait la lame de son couteau entre les côtes, « prendre pour épouse un jeune valet ukrainien plein de sève » et utiliser le prépuce du Christ comme alliance, éjaculer dans un calice qu’il tendrait aux lépreux pour qu’ils deviennent aussi galeux que lui. Rendons ici hommage au traducteur qui a su maîtriser ce déluge austrobaroque, cette autoflagellation aux accents vengeurs.