Télérama, 10 mai 2008, par Nathalie Crom

À l’extrême nord de la Russie, dans la mer de Barents, il est une île « presque ronde ; légèrement relevée sur les côtés comme une pièce de monnaie ancienne et usée. Verte : relief de plaine. Et aussi, quelques rivières, quelques lacs, des collines. D’étranges étendues de sable… » Cet âpre bout de terre émergée, tout près du pôle, c’est Kolgouev, où survivent, livrés à la pauvreté, dans un village crasseux, quelques centaines d’habitants, descendants des Nenets, éleveurs de rennes. Avant de débarquer à Kolgouev, au début des armées 90, le journaliste et écrivain russe Vassili Golovanov en avait longtemps rêvé – rêvé d’une île, quelle qu’elle soit, où qu’elle soit, pourvu qu’elle soit le support de son besoin de mystère et d’enfance, pourvu qu’elle lui soit une échappatoire à une vie insatisfaite, un mariage en miettes, un dégoût général, un début de folie peut-être. « C’est l’idée de l’île que j’ai aimée, bien avant d’y mettre le pied », confesse Golovanov, qui y est bel et bien allé, plusieurs fois et, de ces séjours austères aux confins oubliés de la Russie postsoviétique, a nourri cet ouvrage d’un lyrisme sans mesure. Un Éloge des voyages insensés, insensé lui-même, tant il brasse d’informations, de réflexions et de descriptions. Tout ensemble autofiction, récit de voyage très physique, méditation exaltée sur la place de l’homme dans la nature et le monde, le sens de la vie de l’individu, la destinée collective des peuples…, ce gros livre baroque semble avancer sans fil directeur, mais jamais ne s’égare. Il digresse du côté de la mythologie et de l’histoire, il est secoué parfois d’accès de fièvre, mais sait s’arrêter longuement devant d’admirables paysages septentrionaux, déclinant dans l’air sec et transparent toutes les nuances du gris, du vert, du blanc.