Le Magazine littéraire, décembre 2009, par Alexis Lacroix

Un tableau noir de l’école

Les variations du discours sur l’école sont un baromètre sûr des évolutions idéologiques de la société française. Le remplacement de la référence à l’instruction publique par le vocable d’éducation avait déjà marqué un tournant vers ce que Charles Péguy avait appelé la « dérépublicanisation » de la France. Dans De l’école, son essai de 1984 judicieusement réédité par Verdier, le philosophe et linguiste Jean-Claude Milner affirmait, au risque de braver le politiquement correct d’alors, que cette substitution lexicale, si anodine qu’elle parût, n’avait été qu’une étape dans l’abolition progressive de l’école, ou plus exactement de sa raison d’être. Car c’était la première novation révolutionnaire de ce livre : par-delà les polémiques enflammées de la « querelle scolaire » entre tenants du public et militants du privé, Milner a pressenti que l’insistance grandissante sur la réforme, devenue un « mot-mana » de notre époque, dissimulait, avec un luxe de précautions hypocrites, le vœu d’en finir avec la vocation émancipatrice de l’enceinte scolaire : la transmission des savoirs. Si certains de ses partis pris peuvent paraître datés ou discutables, les enjeux soulevés par cet essai vigoureux restent d’une frappante actualité.