Chronic’Art, mai 2007, par Morgan Boëdec

Un roman policier chez Verdier ? Oui, mais un roman sans flic, traduit du russe et écrit à la première personne par un auteur juif ayant fait le choix de vivre en Allemagne : Guirchovitch est en effet violon à l’opéra d’Hanovre et raconte en interview que cela lui offre la possibilité de bâtir les univers qui lui chantent. Résultat une liberté de ton, une langue cadencée et une maîtrise des contrepoints qui agrippent le lecteur pour ne le lâcher, lessivé, qu’à la fin de cette sombre story familiale. On emboîte le pas de Joseph Gottlieb, avatar de l’auteur et violoniste russe ayant transité par Israël avant d’exercer en Allemagne, narrateur qui fait mine de causer de tout et de rien, de l’exil, de son rapport aux femmes, du ressenti des Juifs face au pays bourreau, passant vite sur l’histoire de son grand-père homonyme (et aussi violoniste) avant de voir en lui la pierre angulaire de l’intrigue. Beau crescendo du soupçon à l’investigation, une fois passée la première révélation : le papi juif fut le protégé de Gottlieb Kunze, compositeur (fictif) proche de Goebbels. Un Juste nazi ? Pas vraiment : le roman est bien plus tortueux encore, car la généalogie s’en mêle. Une photo révèle son arrière-plan de secrets, avec lesquels toute une descendance a tenté de composer jusqu’à ce que Gottlieb fouine de lettres en archives, de certificats de baptême en dessins griffonnés au bord des partitions, détricotant sa propre histoire en croyant jouer sa vie plus que la risquer. Qui cherche trouve… et tombe sur un « miracle secret », du titre de cette fiction de Borges auquel l’auteur se réfère en même temps qu’à Nabokov et Thomas Mann (Têtes interverties est une pièce de Mann, Guirchovitch en fait un opéra de Kunze). Au-delà de l’intrigue, minutieuse et rocambolesque, le labyrinthe s’échafaude surtout au creux des langues, des noms, des emprunts et multiples références que l’auteur se plaît à affilier. Columbo et Stravinski, Médée et les poètes russes, Charles Bronson et Cocteau : on se fait balloter en grande classe. Les annexes enfoncent le clou en épousant le jeu de la fiction. Hitchcock en aurait rêvé, Guirchovitch l’a fait.