Sud-Ouest, 1er mars 2009, par Yves Harté

Paillettes de rêves

L’écrivain bordelais raconte les rêves déçus d’un étudiant bordelais qui voulait devenir matador de toros.

Dans ces années-là, l’hiver, il y avait peu de candidats pour des départs vers l’Espagne. C’était les années soixante-dix. Les arènes étaient fermées, silencieuses, grises sous les rideaux de pluie. On remâchait les souvenirs de l’extraordinaire été, des soleils de juillet, de toutes ces corridas qui reviennent avec les hirondelles et changent une Occitanie secrète en province espagnole.
Nous allions chercher notre Espagne rêvée au fond de bars qui, vaille que vaille, arrivaient à capter une fois par semaine l’image tremblée de l’émission taurine de TVE. Nous étions une confrérie ignorée la plupart du temps, vaguement méprisée quand le secret était éventé. François Garcia fut partie intégrante de cette génération.

Trois années de passion

Il n’y eut pas que des lions d’Arles et des tigres de Nîmes pour explorer les sentiers tauromachiques. De Bordeaux, de Bayonne, plus tard de Dax ou de Vieux-Boucau, d’autres voulaient un jour s’y essayer : devenir torero, soit kitchissimement ibérique. Le livre de François Garcia, Bleu ciel et or, cravate noire, dit cette aventure.
Il raconte la passion qui, trois ans durant, saisit un jeune Bordelais d’origine espagnole. Il s’appelle Paco. Paco Lorca. Il fréquente assidûment les quelques recoins de cette ville où l’on peut parler toro, où l’on mange toro, où l’on songe toro. Il est vrai qu’à cette époque, dès que l’on s’égarait vers les Capucins ou le cours de l’Yser, il était évident de rencontrer ce pays reconstitué, composé d’implantations lointaines et de nouveaux arrivants (1).

Trouver sa place

François Garcia excelle à raconter les départs dans la 404 d’un plâtrier, les entraînements dans la cour d’un patronage sous le regard consterné d’un jésuite, les incompréhensions avec son monde, celui des étudiants et le cercle de ses amis. C’est doublement émouvant, pour les fantômes que l’on y croise, pour le souvenir de la famille Cubero et du Yiyo (2) que l’on se souvient avoir vu toréer, enfant, devant des cornes imaginaires, dans les mêmes lieux décrits ici. Et comme François Garcia possède un vrai pouvoir d’évocation, le récit vous enlève au bout de quelques pages. Mais ce qui aurait pu être seulement un beau livre de geste échappe, dirait-on, à la volonté de son auteur et se révèle comme un livre également grave, livrant alors sa vraie chair dans cette exploration du renoncement.
Ce Paco Lorca n’a de place nulle part. Pour les apprentis toreros de là-bas, il demeure un étudiant français à qui une vie aisée tend les bras. A-t-il besoin des toros pour s’extirper d’une vie de misère ? Que vient-il leur prendre un contrat dans un pueblo en fête, devant ces villageois ivres et empourprés qui se moquent de ses manières ?

Retour à la vie véritable

Ses amis de la fac de droit le regardent avec consternation dès qu’il évoque sa passion, saoulés par cette monomanie quand ils ne le suspectent pas de sympathie franquiste. Or, cette place à occuper est un parfait symbole. Elle renvoie exactement à son double tauromachique. Devant un toro, il faut être dans le sitio, c’est-à-dire occuper la juste place si l’on veut vaincre. Sinon, il faut accepter de se retirer.
Un jour, un énorme toro renverra Paco Lorca vers sa véritable vie, à Bordeaux, où l’attend la belle et volage Hélène. Dans son milieu. Loin de ce monde de gladiateurs mal rasés qui courent les routes de la nuit à la recherche d’un rêve impossible qu’un seul arrivera à décrocher.

 

(1) Petit monde espagnol déjà raconté par l’auteur dans son livre précédent, Jours de marché (Liana Levi).
(2) Le Yiyo, né à Caudéran dans la famille d’un maçon espagnol, devint matador et était en passe de devenir une figura quand un toro le tua en 1985 dans la place de Colmenar.