Gard magazine, décembre 2008-janvier 2009, par Pascale Ferroul

Pour l’amour d’un frère

Un destin hors du commun, mêlant gloire et tragédie : le parcours d’Alain Montcouquiol (Nimeño I), peut-être parce qu’il l’a amené à se colleter avec la mort, est un hymne à la vie – choisie, réinventée – et à la liberté. S’il a œuvré, avec Simon Casas, à la reconnaissance d’une corrida française quasiment disparue depuis les années 1920, et s’il s’est occupé de la carrière de son frère Christian (Nimeño II) après avoir mis fin à la sienne, il reconnaît que rien ne le prédestinait à la tauromachie : une naissance à Ambert, une arrivée à Nîmes à neuf ans, marquée par le décès accidentel d’un père militaire et le silence traumatisant des adultes sur cette tragédie… Pourtant, l’enfant est vite happé par les traditions locales : « Les gosses ne parlaient que de ça, surtout les pauvres. En plus, tous les villages alentour possédaient leurs arènes, la Camargue était à deux pas… Alors, un jour, on a voulu imiter les types tout dorés qu’on voyait en piste. On s’est heurté à l’hostilité des aficionados français qui prétendaient qu’il fallait avoir du sang espagnol. Mais la pire des choses, à 15-16 ans, c’est de n’avoir aucun rêve. Nous, on était pourris de rêves… Les seuls à nous encourager, c’étaient les réfugiés espagnols, des héros qui en avaient bavé mais n’en parlaient pas : ils comprenaient qu’on pouvait engager sa vie sur d’autres voies que celles tracées pour nous. »
En 1997, Alain Montcouquiol publie Recouvre-le de lumière, sur la vie de son jeune frère  : « J’ai tout fait pour le dissuader de toréer. Quand j’ai compris qu’avec ou sans moi, il se lancerait, j’ai accepté. Il en avait le talent… » Mais, gravement blessé par un taureau, Christian finira par mettre fin à ses jours. « Les gens s’en sont étonnés, observant qu’il avait bien récupéré, au point de vivre une vie normale. Mais il avait justement voulu toréer pour ne pas avoir une vie normale. » Onze ans après sa première œuvre, Alain récidive avec Le Sens de la marche, une prudence qu’il justifie par sa peur d’exprimer les mêmes obsessions. Mais son ami Philippe Caubère, qui a signé et joué une adaptation théâtrale de son premier livre, l’a rassuré : « Un artiste ressasse toute sa vie. » Et ce n’est pas l’autre ami, le peintre Claude Viallat qui répète à l’infini les mêmes formes, qui le contredira…
Alors que ces deux livres, sensibles et bouleversants, ont été unanimement salués, bien au-delà du cercle des aficionados, Alain Montcouquiol avoue : « Je n’ai jamais rêvé de devenir écrivain. Sans la mort de mon frère, je n’aurais rien publié. Ces livres sont la matérialisation du pire des scénarios. » Pas un hasard si l’enfant, privé des mots du deuil d’un père, a cherché à percer le mystère de la mort dans le milieu tauromachique, « où on en parlait très naturellement : mort du taureau ou du torero ». Peut-être même une sorte de fatalité, quand il découvre que la statue de son frère sera désormais située sous les fenêtres de l’appartement qu’il occupe depuis vingt-cinq ans, face aux arènes de Nîmes.
Aujourd’hui, Alain Montcouquiol lit de la poésie. Il vient aussi d’écrire un scénario sur les frères Montgolfier. Tiens ? Une histoire de frères.