Sud-Ouest, 11 mars 2012, par Yves Harté

Noirs éclats du passé

Les nuits disent toujours leurs secrets. Tout au fond de cette obscurité, Alain Montcouquiol tisse, livre après livre, une toile qui devient une œuvre. Son sujet ? Son frère, Christian, Nimeño II, que la grande corne de Panolero souleva, fit pirouetter dans les airs. Quand il retomba, nuque cassée, il était tétraplégique. À force de volonté, il remarcha, mais son bras gauche tombait inerte le long de son corps. La corne de Panolero le poursuivit longtemps. Elle finit par le rejoindre dans un garage où il se donna la mort, désespéré de ne plus pouvoir toréer.
De ce jour, Alain Montcouquiol n’a eu de cesse de revisiter ce passé, ces mois et ces jours qui se sont arrêtés en cet après-midi d’automne d’Arles. Montcouquiol avait écrit le bouleversant Recouvre-le de lumière, où il parlait de sa culpabilité, de sa tristesse, de ses regrets et du temps que nul n’arrive à toréer.
Son dernier livre ouvre sur un titre magnifique : Le Fumeur de souvenirs. Il est tiré d’une rengaine mexicaine, un blues local qui commence par ces mots : « J’ai allumé un souvenir et lentement je l’ai fumé. » Ce sont les lueurs de cette cigarette que Montcouquiol a rassemblées. Une série de minuscules histoires comme les éclats surgis d’un temps enfui, comme des reflets de mica à l’intérieur des pierres. Ce sont des voyages dans ce Mexique où son frère était tenu pour l’un des plus grands toreros, au point d’y avoir une statue.
Ne vous attendez pas à une suite taurine. Ce sont les strophes d’une complainte qui voudrait remonter le cours de la vie, comme une œuvre euclidienne, qui tente d’inverser le sens d’un fleuve. On ne peut dans ce recueil préférer un texte à un autre, tant ils sont ajustés avec une précision de mortaise. Mais le livre terminé, on ne peut s’empêcher d’y revenir tant il vous revient par bribes.

Les mots d’Ordoñez

Il est une histoire qui se déroule à Bordeaux juste après l’inauguration des arènes de Floirac en 1987. Manolo Chopera, l’immense impresario d’alors, et Antonio Ordoñez, une des légendes de la tauromachie, étaient là. L’hôtel fermait. La conversation était loin d’être terminée. Alain Montcouquiol, Chopera et Ordoñez allèrent dans le seul bar ouvert, celui du buffet de la gare. Ils parlèrent toute la nuit. Ordoñez exprima en « une longue phrase éblouissante le lien entre tous les toreros, les célèbres, les inconnus, les morts et les vivants ». Montcouquiol se fit le serment de ne jamais oublier ces mots. Il s’endormit épuisé d’émotions, du triomphe de son frère dans les nouvelles arènes, de cette nuit d’échange avec Ordoñez. Quand il se réveilla le lendemain matin, il ne retrouva jamais la phrase, comme envolée par la fenêtre. C’est ainsi qu’est la vie, fragile et belle comme un oiseau. C’est ainsi qu’aujourd’hui, Alain Montcouquiol la raconte à nouveau, sans plainte et sans apprêt, mais dans le dépouillement d’une douleur revisitée.