Olé !, 14 décembre 2011, par Daniel Bégard

On ne fait pas plus russe Cette tourmente de Sorokine ressemble à la dislocation du grand corps de sa littérature nationale. Corps que l’auteur reconstitue avec amour et impertinence. Trois bras de Tourgueniev, une jambe de Boulgakov, les mains de Pasternak, le nez de Gogol, les oreilles de Tolstoï, les pieds de Blok. Le résultat de cette chirurgie affolée aurait pu être une sorte de géant semblable à celui que les protagonistes du roman trouveront, congelé, sur leur chemin. Mais rien n’est vraiment glacé dans ce roman de neige et de tempête. Sorokine évite un trop facile exercice de styles et l’endormissement amusé où conduisent les parodies. Aussi ne pourra-t-on refuser d’accompagner le docteur Platon Ilitch (tout un programme !), son guide et sa très curieuse trottinette, dans une urgente mission sanitaire. D’autant que les temps de l’épopée intriguent. Sommes-nous dans la Russie impériale, dans les décombres post-soviétiques, ou dans des lendemains post-Poutine En fait tout cela a la fois et tout autrement, une uchronie qui n’a rien d’un monde paradisiaque ! Sorokine ne manque pas de sens de l’humour mais ce n’est pas pour autant un joyeux drille, c’est un vigilant. Mettre la vodka au frais en commençant la lecture.