Le Magazine littéraire, avril 2001, par Raymond Bellour

Marlène Zarader entend poser à la philosophie actuelle, et de façon proprement philosophique, la question qui lui semble en être devenue le cœur, et ceci « à partir de Maurice Blanchot », qui seul sut en permettre la formulation : « Peut-on accueillir la nuit ? » Ou aussi bien : « De quelle manière la pensée peut-elle se souvenir du dehors, sans pour autant prendre son parti et se laisser fasciner par lui ? » On le suppose, dès l’introduction, et les mots tombent en conclusion, comme un couperet de guillotine : « elle ne le peut pas ». Mais il faut tout un livre pour le démontrer.
Face à la nuit – la souffrance, l’horreur, l’excès de toute expérience-limite – il y a deux entrées. Celle du « vécu », qui ne peut qu’insister selon son caractère irréductible. Et celle de la philosophie, qui ne peut que chercher à se fonder sur cela même qui l’exclut. C’est parce que Blanchot, sans être philosophe, a laissé la pensée s’ouvrir en lui de façon extrême à la nuit, que son œuvre permet une confrontation unique et engageant la philosophie même. C’est parce que sa pensée ne cesse – critique ou de fiction uniment – de se livrer comme expérience, que la démarche de ce livre se veut résolument phénoménologique. Trois grandes confrontations ainsi s’ordonnent : avec Hegel, autour de la nuit ; avec Husserl, « du monde au dehors » ; avec Heidegger, « de l’être au neutre ». Au-delà, chez Blanchot même, peut-on penser le neutre, devenu mot mana, dans lequel il savait aussi voir « un mot en trop » ?
Il n’est pas question de cerner ici vraiment un livre aussi précis, exigeant, clair jusqu’au vertige, qui ne cherche jamais à cacher la blessure dont il tire sa force : un certain deuil nécessaire à la pensée, un deuil de la pensée, accordé à celui « auquel nous invite spontanément la vie ».
C’est aussi le détour par lequel ce livre de vraie philosophie consacré à Blanchot consonne avec le principe de fiction qu’on veut dégager de son œuvre. Car si on ne peut accueillir la nuit, on peut au moins la laisser vivre, tel cet écrivain qui inquiéta Blanchot et qu’il aima comme personne – Michaux qui simplement disait : « La nuit remue ».