Gai pied hebdo, 23 mai 1991, par Hugo Marsan

Le silence des mots

Françoise Asso écrit l’envers de la vie, autant dire l’essentiel de « la traversée des apparences ». Si nous faisons référence à Virginia Woolf, c’est que Françoise Asso est un écrivain rare, d’emblée du côté des grands. Dans les quatre textes de Déliement, elle traduit le discours secret qui double nos comportements. Un monologue qui recueillerait tout le non-dit du dialogue. Les mots remplissent le vide, codifient le réel pour le rendre visible. L’autre reste emmuré dans une loghorrée qui n’est que le paroxysme du silence. Françoise Asso (on pense à Nathalie Sarraute aussi) réussit à décrire le cheminement souterrain de la parole, cette matière précieuse qui se détruit à l’air libre. C’est donc aussi la quête du « temps perdu », ce que développe Proust « entre les actes », l’obsession de l’homme qui veut définir son absence au monde. Il est fait d’ailleurs allusion à Proust que nous imaginons cerné par cette phrase de Observations, le deuxième récit : « …il était exactement quelqu’un autour de qui tout se trouve atteint de quelque chose qui ressemble à la mort. »

Mais Françoise Asso sait que nous penserons immanquablement à l’auteur de La Recherche. Elle nous signale sa connivence d’un clin d’œil malicieux : Divertissement thérapeutique se joue d’un écrivain qui s’approprierait les manies de Proust dans l’espoir d’en posséder le génie mais se demanderait bientôt s’il n’est pas son fantôme ou sa réincarnation. Ceci pour désamorcer le piège de chercher des références à Françoise Asso, désarçonnés que nous sommes toujours par l’insolite et le talent.

L’écrivain explore la zone cachée de la fiction. Déliement rend compte de la jalousie, celle, inconsolable, qui souligne que nous ne savons jamais pourquoi l’autre nous quitte. Elle raconte une liaison qui meurt quand rien n’est encore dit en surface mais que tout déjà bascule et devient souvenir. Chacun en épie les signes avant-coureurs. Le narrateur, qui est spectateur et acteur, au plus cruel de l’enjeu, tente le double travail de deuil qui consiste à perdre non seulement l’amour mais aussi – acte plus complexe et terrifiant – la mémoire du bonheur.

La beauté de cette histoire est de montrer la douleur d’une rupture, par réfraction, à travers un témoin inerte, Marie (seul personnage nommé), qui absorbe, le temps d’un week-end, la détresse du couple. Déliement est un texte bouleversant et redoutable, le négatif lumineux d’une affaire ordinaire qui se trame dans le silence.