La Croix, 7 novembre 2013, par Marie Soyeux

Source de mots bienfaisants

David Bosc fait de l’exil des dernières années de la vie de Gustave Courbet une ode à la vie et à la nature.

Le 23 juillet 1873, Gustave Courbet passe la frontière suisse. Il laisse derrière lui des « emmerdements » sur lesquels le livre ne s’attarde pas. Le peintre est bavard, mais le souvenir de la Commune de Paris, dont il fut l’un des élus en 1871, ne s’évoque pas à la légère. C’est celui d’un idéal atteint et perdu. Il encourt un procès pour la destruction de la colonne Vendôme, mais que lui importe ? Il est mort en même temps que ses amis tombés. Le voilà débarrassé du tracas des honneurs, des responsabilités. Mort, il marche le pas léger, plus vivant que jamais.

Le peintre s’installe à La Tour-de-Peilz, se repaît de nature et de lumière. Il aime plonger dans l’eau et la matière, qu’il peint à la truelle et au couteau. Assisté de ses amis aux noms improbables – Pata, Rapin, Cornu et Ordinaire – il fait « de la peinture artiste débitée comme du savon ». À toute allure et avec désinvolture, mais non sans talent.

Les commandes pleuvent, l’argent ruisselle, et s’il se laisse souvent dépasser par le vin blanc, Courbet se fait pardonner par sa nature partageuse. Lui qui à Paris jouait au bête, s’était créé un personnage brailleur pour hérisser « ces messieurs-dames du grand argent », n’a plus à en rajouter. Il chante, reçoit, sa porte n’est qu’un seuil que tout le monde franchit.

Le lecteur entre dans ses tableaux avec la même facilité. D’abord furtivement, puis les incursions se font plus longues, plus intimes, mêlant éléments biographiques, analyses et poésie. Ces promenades picturales rappellent parfois celles des Salons de Diderot. Peintre réaliste, Courbet méprise l’orientalisme en vogue, scrute les nuées, les feuillages et les corps de femmes.

L’écriture est à l’image du personnage : gourmande, jouisseuse. Les mots débordent les pages tels des grappes de raisin mûr. Ce n’est pas un peintre qu’on nous décrit là, c’est un ogre, un Gargantua ! De même, l’écriture enfle, rembourre les personnages de dialogues inventés, de scènes romancées. Le père, Régis, la sœur, Juliette, les intendants Marie et Alexandre Morel prennent ainsi couleurs et souffle.

Le narrateur pose sur eux un regard bienveillant non dénué d’humour. Et jamais il ne laisse la peinture éclipser l’humain. Le jour où Courbet apprend que ses futures toiles devront servir à rembourser la colonne Vendôme, il cesse de peindre, sans pathos. L’art n’est pas tout l’homme.

Avec cet ouvrage, David Bosc, déjà auteur de deux romans (Sang lié en 2005 et Milo en 2009 aux Éditions Allia), refuse le portrait de Courbet en artiste maudit. Rimbaud et Baudelaire, deux de ses contemporains, incarnent cette sombre figure, sans cesse mise à distance. La pauvreté et l’alcool ne parviennent pas à entacher la légèreté d’un homme libre à en mourir.