Le Nouvel Observateur, 29 août 2013, par Bernard Géniès

Exil et mort d’un peintre : Le roman de Courbet

Au lendemain de la Semaine sanglante, qui vit l’écrasement de la Commune de Paris par les troupes versaillaises, Gustave Courbet est condamné à six mois de prison et 500 francs d’amende. Le verdict n’est pas si sévère pour celui qui fut membre du Conseil de la Commune et président de l’éphémère Fédération des Artistes. Mais deux ans plus tard, en 1873, à l’issue d’un nouveau procès, il est jugé responsable de la démolition de la colonne Vendôme et se voit réclamer la somme de 323 091 francs au titre des frais de reconstruction de ce monument érigé par Napoléon pour célébrer sa propre gloire. Redoutant d’être à nouveau emprisonné, Courbet prend le chemin de la Suisse, pays où il vivra les quatre dernières années de sa vie.

Ce sont les derniers mois de cette existence que David Bosc dépeint dans un roman lumineux. On y croise la silhouette de Rimbaud (qui, en juillet 1873, franchit lui aussi une frontière, quittant Bruxelles pour rentrer en France après que Verlaine lui eut tiré dessus) ou encore celle de Baudelaire (dont Courbet fit le portrait en 1848). Courbet est inquiet, certes. Mais il n’a pas renoncé à la peinture. Il peint les rives du lac Léman, un portrait de son père Régis et jusqu’à cet ultime Grand Panorama des Alpes qu’il laissera inachevé. Procédant par fines touches, faisant resurgir les ombres et les moments furtifs d’une vie tout entière consacrée à l’art, David Bosc construit le portrait d’un proscrit qui refuse de renoncer tant à son métier qu’à sa propre existence.

Jouisseur (il aime les femmes, l’eau des rivières où il se rue comme un ogre, il ne se prive ni de bonnes chères ni de vin blanc), il omet de succomber à la nostalgie. Rien ici ne laisse deviner l’amertume. Chaque jour de la vie de Courbet est une célébration : il continue à traquer le client (il faut vivre !), organise des expositions, se mêle aux fêtes villageoises, négligeant les griffes de la maladie qui commence à le ronger. David Bosc cisèle avec un rare bonheur le récit de cette joyeuse et lente descente aux enfers. La veille de sa mort, Gustave Courbet reçut des mains de son père une lampe sourde. Il ne vit jamais briller son faisceau.