Politis, 17 octobre 2013, par Olivier Doubre

De Mao à Moïse, d’une foi à l’autre

Léo Lévy raconte l’itinéraire de son mari, leader de la Gauche prolétarienne avant d’embrasser la foi juive la plus orthodoxe.

Benny Lévy a longtemps fasciné une partie de l’extrême gauche française et au-delà. Bien après ses années de direction de la Gauche prolétarienne (GP), entre la fondation de cette organisation à la suite de Mai 68 et son autodissolution en 1973. Cet ouvrage, écrit par celle qui partagea sa vie depuis la préparation du concours de l’École normale supérieure (ENS) de la rue d’Ulm jusqu’à sa disparition en octobre 2003 à Jérusalem, vient éclairer un parcours a priori atypique. A priori seulement, puisqu’on peut aisément considérer son passage du maoïsme le plus fervent à la religion juive ultraorthodoxe comme une continuité, d’une « foi » à une autre.

S’il ne dément pas tout à fait ce raccourci souvent entendu, ce livre de Léo Lévy, née Judith Aronowicz, vient néanmoins le nuancer et donne à mieux comprendre l’évolution ou le glissement de « Pierre Victor », son pseudonyme de militant à la GP, jusqu’à son installation en Israël en 1995 pour y étudier quotidiennement le Talmud.

Né dans une famille pauvre de juifs cairotes francophones, où la religion n’a pas une place prépondérante, Benny Lévy et les siens se voient contraints de s’exiler en Belgique, où vit une partie de leur famille, lorsque Nasser expulse les juifs du pays après la crise de Suez. Le jeune Benny est bientôt scolarisé au lycée français de Bruxelles et remarqué pour ses dons dans les matières littéraires : « la langue française l’habite ». Mais c’est surtout sa situation d’exilé qui, dès cette enfance troublée, le marque intimement. Ainsi, ayant rejoint Paris pour les classes préparatoires du lycée Louis-le-Grand, il intègre l’ENS en 1965, au rang de « 22e bis » : « bis, parce qu’il est reçu à titre d’étranger »…

Lorsqu’en 1966, proche de Louis Althusser, Benny Lévy lit la « Décision en seize points » de Mao lançant la Révolution culturelle, c’est « l’éblouissement ». Il participe alors à la création de l’Union de la jeunesse communiste marxiste-léniniste, maoïste. Après sa dissolution à l’été 1968 et la grave dépression de son chef, Robert Linhart, Benny Lévy va diriger d’une main de fer ce qui devient la GP, prônant « l’établissement » en usine et l’abnégation la plus stricte pour « la cause ». À ses côtés, Léo suit ses choix. Remarquablement bien écrit, son livre apprend beaucoup sur l’évolution intellectuelle, politique et bientôt spirituelle, dans un lent mais résolu cheminement vers la foi, de celui qui devint le secrétaire de Jean-Paul Sartre après la « sortie de la vision politique du monde ». C’est aussi le récit, pudique, de son amour sans bornes pour Benny. Celui d’une abnégation (encore) et d’une constante mise en retrait de Léo derrière les choix de son mari, embrassés (presque) sans aucune hésitation.