Vient de paraître, juin 2006, par Yann Diener

Emmanuel Venet a déjà publié en 2005 un Précis de médecine imaginaire chez Verdier et un Portrait de fleuve chez Gallimard. Il nous livre ici un essai-récit court et dense, efficace, enlevé, qui dépoussière le portrait de Gaston Ferdière, souvent réduit à l’aliéniste qui enferma Artaud à Rodez. C’est presque à une image d’Épinal que s’attaque Venet : le portrait de Ferdière est depuis longtemps vissé à celui du poète maudit. Le psychiatre aurait été aussi morne et poète raté que son célèbre patient était fou et créatif. Emmanuel Venet, né en 1959 à Lyon, où il exerce la psychiatrie, dresse d’abord un rapide portrait de la famille de Ferdière, ses velléités de poète – il « burine » des vers pour sa future, Marie-Louise –, ses débuts en médecine, son ambition parmi celles des mandarins lyonnais. Venet nous permet de considérer autrement Ferdière lorsqu’il nous montre comment sous l’Occupation, responsable d’un hôpital psychiatrique, il désobéit à l’ordre vichyste d’affamer les malades mentaux (des milliers de morts auxquels il n’a été consacré qu’une étude). Poète raté, donc, qui prend un grand plaisir à fréquenter les poètes publiés et lus : on croise les figures de Crevel, Desnos, Breton et Michaux, pour qui Marie-Louise va quitter Ferdière. Emmanuel Venet met souvent bord à bord l’écriture d’Artaud et la non-écriture de Ferdière avec celle d’un autre écrivain, médecin de formation, Destouches. Et il choisit résolument le camp des anti-Céline lorsqu’il écrit que « Destouches n’en finit pas de se chier sur les pieds en voulant souiller le tapis ». Venet a un style, il a des formules efficaces pour attaquer ses confrères de l’époque, ceux qui se laissent aller à pontifier. Ainsi de Henri Mondor, qui a donné son nom à un hôpital à Créteil et qui diagnostiqua le cancer d’Artaud : « Henri Mondor, le grand patron dont on imagine le port altier, l’onctuosité d’humaniste, l’érudition aussi en ordre que son bureau. Assez fin stratège pour s’assurer l’agrégation, l’épée d’Immortel et les hochets qui permettent de préfacer l’étron d’un confrère sans risquer de se salir. » Ce livre est un éclair dans l’histoire de la littérature, du surréalisme et de la psychiatrie.