Art Sud, avril 2007, par Victor Sanières

Né à Marseille en 1959 et vivant à Aubagne, Christian Garcin est un écrivain minimaliste ennemi des effets de manche, et qui a su faire de simples vies des œuvres d’art.

Dans Vidas et Vies volées (deux de ses livres qui reparaissent en un seul volume dans la collection « Folio »), il a su capturer la vérité derrière l’apparence des choses. C’est un peu l’esthétique de cet auteur remarquable dont la prose poétique est au service de fictions inventives. Le Vol du pigeon voyageur, Du bruit dans les arbres, ou L’Embarquement, sont à ce titre des réussites surprenantes faciles d’accès et ouvrant de véritables débats sur les enjeux de la fiction. Il faut dire que ce professeur de littérature aime le récit court, le cinéma, la musique et la peinture au point de mêler dans son écriture tous ces éléments réunis souvent sous sa plume par des liens étroits pas forcément visibles au premier coup d’œil. Toute son œuvre est une célébration de l’art, « l’art, écrit‑il, est poreux comme un os : à travers lui les mondes communiquent ». Pas étonnant donc de trouver l’évocation d’un tableau comme point de départ de son nouveau livre L’Autre Monde, publié chez Verdier. Ce tableau c’est le Cerf courant sous bois de Gustave Courbet datant de 1865, dont il a acheté la reproduction au Musée Courbet situé dans la maison natale du peintre à Ornans dans le Doubs. « Le premier mot qui me vient à l’esprit à propos de ce tableau est le mot “saisissement”, précise‑t-il. Et d’ajouter : Le deuxième mot est le mot “effacement”. » S’ensuit une description de cet autre monde dans lequel nous projette ce tableau et notamment la forêt où court le cerf. « Je ne vais pas dans les musées pour voir des peintures. Je ne vais pas dans les salles obscures pour voir des images bouger, explique‑t-il mais, j’y vais pour trouver une image de l’autre monde. » Et de préciser sa pensée par l’éloge du langage inévitablement mêlé au temps. A‑t‑il vraiment vu le tableau ? Tout le livre est une tentative de réponse, et l’analyse du tableau effectuée par Christian Garcin s’appuie autant sur la littérature, avec par exemple pour la description de la forêt suggérée par le tableau les personnages de Tristan et Yseut, que sur le cinéma « intensément spirituel » de Andrei Tarkovski dont chaque film « est la genèse d’un monde ». Pour illustrer ses idées, Christian Garcin cite Giorgio Agamben dont les propos constituent une sorte de synthèse de sa recherche littéraire : « Là où finit le langage, ce n’est pas l’indicible qui commence, mais la matière de la langue. Qui n’a jamais atteint, comme en rêve, cette substance ligneuse de la langue que les anciens appelaient silva (forêt) demeure prisonnier de ses représentations quand bien même il se tait. » Belle définition qui illustre à merveille le magnifique livre de Christian Garcin.