La Gazette Nord-Pas de Calais, 24 février 2007, par Julia Dubreuil

Suivez le cerf

À l’origine de L’Autre Monde est un Cerf courant sous bois, petit tableau de Gustave Courbet exposé au Musée Maison natale du peintre à Ornans, dans le Doubs. Si Christian Garcin ne se souvient pas avoir vu ce tableau, il en a conservé une reproduction sur carte postale qui sert de point de départ à cet ouvrage. Passage furtif d’un cerf sur un fond indistinct de vert et de brun, la peinture de Courbet devient support à une réflexion sur la notion d’un « autre monde » qui hante l’auteur, et qu’il tente de définir par la parole, même si son expérience est semble‑t‑il, au‑delà des mots.

« La forêt ici à peine esquissée ouvre pour moi sur le mystère d’un monde où nous n’avons nulle place […], un espace irréductible à toute formulation » : le monde primordial, animal, de « l’expérience immédiate » des choses. Saisi par le tableau, l’auteur déroule librement le fil de sa pensée pour tisser « un réseau de correspondances hasardeuses » entre différents souvenirs et émotions artistiques. L’ouvrage mêle ainsi des passages autobiographiques, récits de chasse réels ou fictifs, à une réflexion nourrie de références littéraires, artistiques et cinématographiques. Tristan et Yseult cachés dans la forêt du Morois, l’épisode de la mort de Pan raconté dans un dialogue de Plutarque, mais aussi Le Terrier de Franz Kafka et l’œuvre du cinéaste Andreï Tarkovski sont ainsi convoqués pour cerner par approches successives ce sentiment furtif d’un autre monde. Conscient des difficultés de l’entreprise, l’auteur n’en parvient pas moins à nous entraîner dans sa rêverie hybride, teintée de mystère et de lyrisme. Une séduisante expérience de lecture aux confins de l’essai et de la nouvelle, presque aussi indéfinissable que « l’autre monde ».