Midi libre, 21 octobre 1982

L’Excellente trouvaille des éditions Verdier : Un très beau texte de Joë Bousquet.

Après avoir édité en 1980 le manuscrit de Joë Bousquet, Papillon de neige, les Éditions Verdier viennent maintenant de faire paraître D’un regard l’autre, qui est, pour l’instant, le tout dernier livre posthume du poète infirme mort à Carcassonne le 28 septembre 1950 dans cette chambre du 53, rue de Verdun que son séjour rendit célèbre et où il avait reçu Valéry, Aragon, Eluard, Gide, Paulhan, Michaux, Nelli, Benda, Lebrau, Max Ernst, Camberoque et tant d’autres personnalités des lettres et des arts.

La parution de ce texte, jusqu’ici inconnu du public, vient confirmer à quel point la renommée de son auteur ne s’estompe pas avec les années et qu’au contraire elle continue de grandir chaque jour davantage. C’est ainsi que seuls 22 livres de lui avaient été imprimés de son vivant tandis qu’il en a paru une bonne cinquantaine après sa mort, dont ses Œuvres romanesques complètes réunies en trois volumes. À noter aussi que dans le Grand dictionnaire des citations françaises qui vient de paraître on peut lire onze citations extraites de ses œuvres.

Est-il possible, oserait-on se demander, que l’on trouve encore des inédits de lui ? La preuve ! Et des plus beaux, des plus profonds, des plus brillants et des plus poétiques. On pourrait même regretter que ces inédits aient échappé aux sélectionneurs de citations pour leur dictionnaire puisqueD’un regard l’autre à lui seul eut pu leur en fournir tant qu’ils en auraient souhaité, et des meilleures.

En voilà d’ailleurs quelques-unes :

Rimbaud a brisé la chambre aux miroirs. Nous nous racontons son évasion dans une langue qu’il a rendue caduque… Nous parlons de lui comme un aveugle parle des couleurs.

Au sujet d’une femme :

Un jour, peut-être, je te prendrai la main en souriant. Une présence aura pris la place de mon cœur, elle pèsera sur mes paupières et mes paupières s’abaisseront doucement comme les stores du logis où l’on allume la lampe.

Le texte intitulé « Pendule à la Métamorphose » débute par le « Poème du temps » dont voici les premières lignes :

La potence ensoleillée
marquait les heures,
pendant que le balancement de son pendu
les ensemençait de secondes,
ainsi fut inventée la montre, non,
à vrai dire, par le bourreau, mais par un philosophe
finaliste qui, depuis longtemps,
s’interrogeait sur l’utilité du bourreau.

Dans D’un regard l’autre, Joë Bousquet s’analyse, regarde son moi intérieur avec des yeux pénétrants comme seuls les très grands poètes peuvent le faire : « Qui parlait donc en moi quand je disais : Ne rêve pas ta vie, rêve tes rêves. » Il sait que divers passages de ses textes paraîtront obscurs à certains lecteurs. Il s’en étonne. « Pourquoi voudrait-on qu’un texte se comprenne d’un bout à l’autre ? » disait-il parfois. Et il avait bien raison. Le poète doit pouvoir se servir d’un langage personnel tantôt clair, secret et énigmatique, que l’on comprend parfois pleinement mais que l’on « sent » parfois avec le sixième sens, celui qui seul saisit la poésie.

En tout cas, ceux qui s’intéressent à Joë Bousquet auraient bien tort de négliger D’un regard l’autre que l’on trouve maintenant en librairie.