La Marseillaise, 20 mars 2011, par Claudine Galéa

Zorro en Chine

Fabuleux. Deux livres de Christian Garcin à l’intention des adultes et des enfants. Où les animaux parlent comme les hommes, où les hommes se transforment parfois en animaux.

Christian Garcin s’intéresse depuis longtemps à la Chine, sa littérature, son art, sa philosophie, sa culture. Son mélange de sagesse et d’ironie. Il a traité de la question avec sérieux dans des livres comme L’encre et la couleur, Itinéraire chinois, Carnet Japonais, Du Baïkal au Gobi, Une odeur de jasmin et de sexe mêlés. Désormais, il joue avec ses connaissances et mélange les genres en de savoureux romans d’imagination, comme on le disait autrefois.

Des femmes disparaissent se présente à la fois comme un roman d’aventures, un film policier, un roman classique chinois avec imbrication d’histoires dans l’histoire, un mélodrame amoureux, un conte pour adultes, une parodie des films, de kung-fu, un roman d’initiation, un récit de voyage, une légende aux frontières du fantastique.

Au centre, un détective, Zhu Wenguang, dit Zuo Luo, qu’on peut encore appeler Zorro. D’emblée, le glissement nominal, le jeu sonore qui conduit à la transposition en notre héros masqué en encapé de noir, décrivent le projet romanesque : une construction artificielle où l’auteur s’amuse à changer d’espace, de temps et de corps, à jouer les démiurges tout en disparaissant derrière l’identité d’un autre. Tout est usurpé et sous contrôle. Tout est vrai puisque tout est écrit. Tout est faux puisque tout est inventé. Sur la page de garde, le nom de l’auteur est suivi du titre du livre et de cette curieuse inscription, « un roman de Chen Wanglin ».

Lors de son périple qui le mènera de la Chine au Japon en passant par le Chinatown new-yorkais, Zuo Luo découvre qu’il est un héros auprès d’un certain Chen Wanglin (apparu dans le précédent roman de Christian Garcin, La Piste Mongole), lequel a tout raconté de son histoire. Mystère de la notoriété, de la rumeur, ou d’une forme de télépathie sans croyance, on ne saura jamais. Accepter que d’étranges associations se produisent, fait incontestablement partie du charme de ce roman. Mais revenons au début.

Zuo Luo est une forme de justicier, un outsider au grand cœur : il tente de sauver les femmes maltraitées. Lorsqu’au Bembo Café à Guangzhou, il fait face à quatre maffieux japonais, l’auteur nous régale d’un pastiche désopilant, la version française d’un western au pays des Jaunes. Zuo Luo est aussi un Tintin d’aujourd’hui Toujours en retrait, faussement cool, c’est un taiseux, un observateur affûté, excellent cogneur si cela devient nécessaire. Trois femmes hantent le livre, mortes ou disparues, victimes de la brutalité des hommes. Certains liens vont se nouer, et sur une durée de trente ans racontée en un mois à travers trois contrées, comme dans tout bon roman policier, on découvrira le motif personnel qui fait agir Zuo Luo. Pour cela, il faut accepter de remonter le temps et d’écouter attentivement les histoires qui émaillent le récit principal, dont certaines sont très anciennes, la plupart assez brèves, quelques-unes délicatement longues. Il faut également penser que les belles femmes sont des magiciennes, que les chiens n’ont pas toujours été chiens, et que, dans tout être vivant, un sage veille duquel on peut apprendre beaucoup. Enfin, les histoires d’amour ont leurs musiques secrètes, airs d’opéra chinois, chansons ou comptines, et leur poésie naïve ou sophistiquée est une sucrerie qui fond dans la bouche.

Des femmes disparaissent est un délicieux passe-temps, plus complexe qu’il n’y paraît, extrêmement inventif et maîtrisé, car jamais le lecteur ne s’égare alors qu’il emprunte divers chemins de traverse, voyage en des temps et des histoires reculés. Le dernier chapitre à Hokkaido est une merveille. Une fillette vient clore l’histoire des femmes disparues, le temps d’une visite au Lac Sacré où un crapaud est peut-être l’ultime avatar d’un héros qui a prêté ses dons à Zuo Luo.

À côté de ce roman qu’on déguste comme un Mao Fan (avis aux amateurs), Christian Garcin a écrit un livre pour enfants qui se passe autour du fameux lac sacré, le Lac Riche, autrement dit le Baïkal, où il est allé se promener il y a quelque temps1. […]

L’imaginaire est le meilleur ami du roman. Christian Garcin applique la définition aux adultes comme aux enfants, et c’est un grand plaisir de lecture.

1. Aux bords du lac Baïkal, L’École des loisirs, 2011.