Le Canard enchaîné, 5 janvier 2011, par André Rollin

Ombres chinoises au Japon

Avec Des femmes disparaissent, Christian Garcin, de la Chine au Japon, en passant par New York, mène un éclatant devoir de vengeance.

Tel Zorro, Zhu Wenguang, Chinois au cœur blessé, va sauver la femme bafouée. Son rôle : dénicher les endroits où sont « séquestrées les jeunes femmes des campagnes pauvres vendues de force à d’autres paysans, ou à quelques citadins tout aussi pauvres ». Dans ce trafic de l’ombre et de la misère, Zhu Wenguang, appelé aussi Zuo Luo, apporte sa fougue et sa violence en un formidable tourbillon qui ravage aussi bien Guangzhou, en Chine du Sud, que New York ou Hokkaido.

Garcin, déjà auteur de nombreux livres […], a le don de magnifier le clair-obscur : « Il espérait se fondre dans le métal rouillé de la porte, devenir moins visible qu’un chat noir fouillant les sacs poubelle dans la nuit, qu’une flaque grise sur un trottoir goudronné, qu’un renard roux dans un sous-bois d’automne… » Il est là dans son élément.

Trois femmes principales, trois femmes aimées – Zhang Leyun, Yatsunari Sesuko, Yang Cuicui –, se retrouvent, par des coïncidences inouïes, dans cette traque de « la lumière » que Zhu Wenguang mène à travers le monde. Toujours est-il qu’il y a une logique souterraine qui relie toutes ces histoires pour en faire le livre d’une aventure haletante. Avec Christian Garcin, on ne peut rester calmement dans, son fauteuil, il nous en éjecte avec une joie féroce en nous envoyant à la figure d’incroyables mafieux, de redoutables tirades, comme des yakusas venimeux. Et en toile de fond ces jeunes femmes, parfois toutes jeunes filles, qui illuminent cette obscurité dangereuse.

Elles tissent un réseau qui relie les continents, les événements de Chine comme ceux de Hongrie – Cuicui est née à Budapest – sans oublier le Chinatown new-yorkais qui brille de tous ses feux assassins. Zorro est toujours là quand il faut, avec sa patience et sa morgue. À Tanaka Daijiro, mafieux japonais, cloué sur un fauteuil, et tortionnaire de son ex-femme Cuicui, il lance, méprisant : « Le majestueux Yangtse, le père des fleuves de la Terre, dont nul ne peut, dans ton minuscule pays en forme de virgule, se représenter la puissance et la taille. »

La quête pour trouver l’affreux Daijiro, réfugié au Japon, est un moment grandiose. Garcin ne lésine pas, et son imagination est comme un livre d’enluminures. Il y a même la réincarnation d’un truand en chien !

Pour finir, nous nous trouvons non loin de la mer d’Okhotsk, au Japon, chez le fameux Daijiro, qui vit reclus, après un passage en prison, avec sa nouvelle femme et une gamine de 10 ans, Yoko, à qui son père ne cesse de répéter que sa mère est morte. Si le face-à-face entre le mafieux et Zhu Wengang est sordide, celui entre le justicier et la gamine, qui adore tuer les chats et les oiseaux, est déchirant. On passe de la violence à la douceur extrême.

Des femmes disparaissent ouvre cette entrée 2011 avec force et panache. Surprenant.