Le Magazine littéraire, octobre 2008, par Pierre Assouline

À gauche, Léonard de Vinci, artiste de cour et génie multicarte ; à droite, Nicolas Machiavel, fondateur de notre raison politique ; au milieu César Borgia, nouveau prince en Italie centrale. Les trois hommes travaillent de concert à détourner le cours de l’Arno. La rencontre se déroule en juin 1502 à Urbino, dans ce palais ducal que l’on dit être un rêve de la Renaissance. On ne sait rien de leur conversation bien que Léonard et Machiavel aient, l’un beaucoup écrit, l’autre beaucoup parlé. Ce sommet de l’intelligence et de la culture est un trou dans l’érudition. Là est le rendez-vous manqué. Avec les historiens. Cette énigme a décidé Patrick Boucheron, spécialiste de l’Italie médiévale, à interroger le silence et la qualité des temps après avoir épuisé les archives et les livres. Cette histoire de huis clos, seul un historien au tempérament de dramaturge et à la plume d’écrivain pouvait la ressusciter. Patrick Boucheron est ces trois hommes-là à la fois. La réussite de ce texte éblouissant tient à sa discrétion. Son érudition est toute en nuances, et le fil narratif en dentelle. Au-delà de la conversation perdue dans la nuit urbinate, il s’agit de comprendre ce que signifie « être contemporain », une réflexion portée avec une vraie légèreté. Telle est la grande ambition de ce petit ouvrage. En réanimant une ancienne manière d’écrire l’histoire, avec l’humilité de celui qui ose douter à voix haute, l’auteur a tout simplement écrit l’un des plus beaux livres de la rentrée.