Études, novembre 2006, par Véronique Petetin

Le silence de la Corrèze, la profondeur de la brume ou des ruisseaux, mais aussi le gris du RER, le labeur de l’enseignement et des conseils de classe : le Carnet de notes de Pierre Bergounioux, plus exactement son journal sur une décennie, force la patience du lecteur, vertu si rare dans la littérature actuelle. Penser et classer le monde : il y a l’ombre amicale de Georges Perec dans cette tâche de chaque instant. Traverser l’épaisseur du temps et de l’oubli, écrire dans l’urgence du corps qui défaille ; Proust aussi est là. Nommer la « vie peineuse » en notant chaque détail, infime, exquis, du quotidien rappelle Le Poids du monde, de Peter Handke. Le rythme de l’écriture et de la lecture est très lent, bienheureuses fatigue et lassitude, mais il est rythme de la nature, de ce qui pousse, se développe et meurt : « Harassante tâche de percer la confusion qui nous environne, d’extorquer leur nom aux choses, aux instants. » La rédaction de ce journal, débutée en 1980, précède l’entrée dans l’écriture littéraire, en 1983. La naissance de l’écrivain se produit dans la suite des jours, sans révélation ni circonstance particulière, parmi d’autres naissances : des enfants bien-­aimés, des sculptures, des collections de l’entomologiste. P. Bergounioux nous rend témoins de la vie d’un homme et de l’œuvre qu’il doit accomplir : nourrir et élever les petits, donner leur pitance aux élèves, sculpter, souder, organiser l’espace domestique, soigner et assister les proches, et parfois les accompagner vers leur mort. L’écriture console et répare : elle donne du sens à ce qui est arrivé. Elle témoigne du métier de vivre et d’aimer. Mais il semble que, par‑dessus tout, elle seule puisse apaiser : « La paix surhumaine du soir », est‑il écrit. On serait tenté d’ajouter, à la lecture de ce texte magnifique : la paix surhumaine de l’écriture, qui repousse le désespoir par la seule justesse des mots.