Page des libraires, septembre 2007, par Michèle Chadeisson, Librairie Texture (Paris 19e)

Carnet du grand chemin

Avec ce second volet de Carnet de notes (le premier est paru en 2006), nous voici à nouveau conviés au plus intime de la pensée – déclinée au quotidien – d’un écrivain majeur.

Avec la rigueur que nous lui connaissons, Pierre Bergounioux continue à s’écrire au jour le jour, confessant la torture à se mettre au travail chaque matin, « tirer un mot et puis un autre du chaos ». L’homme est un mélancolique, exigeant dans sa gestion du quotidien, malheureux quand il ne fait pas quelque chose de vital : lire, écrire, sculpter, être à l’écoute des siens qu’il adore. Beaucoup d’introspections dans ses notes, d’introspections douloureuses qu’il affronte avec courage. Mais il y a plus encore dans ce carnet, que nous aimerions rapprocher du Journal de Virginia Woolf tant il nous convie dans l’intimité de sa pensée, nous convoque au plus près de son intelligence. Nous avons là un outil de ses œuvres en formation, qui éclaire magnifiquement leurs conditions d’élaboration, les réflexions qui les sous-tendent et les génèrent, la partie de chasse qu’il livre patiemment à ses fantômes, qu’il saisit, à l’instar des papillons, délicatement. Les affres de la création sont ici tout entières : aussitôt fini un récit, la relecture lui procure une « courbature infinie », on le lit essayant de faire le tri dans ce qu’il qualifie de « désastre ». « Le soulagement qu’on ressent à poser le point final ne dure pas. On est renvoyé au purgatoire du commencement ». Ainsi écrit‑il comme il sculpte : ajoutant de la matière ici, en retirant là, rabotant, polissant, atténuant ou au contraire accentuant jusqu’au point d’équilibre. Il n’est pas primordial d’avoir déjà abordé son œuvre pour en apprécier, au travers de ce carnet, la beauté du style, la profondeur et le sérieux des réflexions. C’est au contraire la lecture de ce carnet qui vous pousse à aller plus loin, à découvrir l’autre facette de ce personnage attachant. Le lire repose, nous tire hors des sentiers battus, rend nos propres angoisses moins douloureuses dans la confraternité qui nous unit à lui, à son humanité.