Moto journal, 19 décembre 2002, par Jacques Henric

Avant le poids des mots, il y a d’abord le choc des photos, celle figurant sur la bande de la couverture, celles qu’on découvre à l’intérieur du livre : sculptures de quelque artiste morbide ? monstres humains sortis des bocaux d’un musée des horreurs ? ou plutôt momies, comme le suggère le titre du livre, Mummy, mummies ? On pense d’abord, en effet, aux dépouilles humaines entassées dans le cimetière des catacombes de Palerme, mais on a un doute, elles ne sont pas aussi bien conservées que ces momies-là, celles qu’Alain Fleischer a photographiées et à partir desquelles il a écrit quatre brefs et beaux textes mêlant, comme il en a l’art, essai et fiction. On apprend qu’il s’agit de corps retrouvés dans la terre d’un village d’Ombrie, laquelle a une composition chimique la rendant propre à la conservation des cadavres.

Quelle aubaine pour un écrivain, dont on a pu mesurer dans ses derniers romans la puissance de l’imaginaire, et qui est en même temps un homme de l’image, que d’avoir rencontré ces expulsés de la terre-mère, ces morts appelés à une étrange et immobile renaissance ! Mummy, mummies : « La momie […] est maternelle », écrit Fleischer, et de narrer une histoire à tonalité bataillienne (orage, morts, sexe, inceste) suivie d’une série de troublants instantanés autobiographiques. Mais avant de se risquer à l’inavouable, Alain Fleischer s’est interrogé sur les liens qu’entretiennent la photographie et les momies de Palerme. Les catacombes ? un « obscur laboratoire ». Les momies ? : des « images photographiques révélées mais non fixées ». Un bossu n’en finira jamais de tenir en main son pénis ; la belle Katerina ne se lassera pas de nous exhiber son sexe jusqu’à la fin des temps… Tout cela ne serait que « surface bruyante d’un mystère silencieux » ? À vérifier. Alain Fleischer n’en finira pas d’écrire et de photographier.