Le Magazine littéraire, décembre 2002, par Pierre-Marc de Biasi

Pierre Michon, écrire avant l’autodafé

Entretien avec Pierre Michon. Propos recueillis par Pierre-Marc de Biasi. Suivi de « Pierre Michon, écrivain de l’incertain », par Marie-Laure Delorme

Pierre Michon est entré en littérature avec un livre dont l’aura n’a cessé de grandir, Les Vies minuscules. Cet auteur rare publie aujourd’hui deux minces et somptueux récits, Corps du roi et Abbés. De quoi ravir les happy few.

Aussi grand écrivain qu’auteur paradoxal, Pierre Michon est une exception dans notre littérature. Il écrit peu, parfaitement, et ne fait que cela. Ses textes sont des blocs de prose impeccable, son écriture est rare et sans compromis, ses récits, anachroniques et mallarméens, ont la brièveté du haïku. Au total, ses œuvres complètes n’occupent pas plus de 20 centimètres dans nos bibliothèques, les connaisseurs en parlent à mi-voix de peur que son succès ne s’ébruite, mais cet auteur pour happy few est en fait connu dans le monde entier comme l’un des symboles de ce qui se fait de mieux en littérature française aujourd’hui et si vous cherchez son nom sur le Web, attendez-vous à crouler sous une avalanche de plus de 10 000 sites, pages et dépêches. Ses textes laconiques ont déjà suscité des milliers de commentaires et lui ont valu récemment le prix Décembre. Les chercheurs s’intéressent à ses manuscrits et tout récemment on a vu paraître les actes d’un colloque international entièrement consacré à son œuvre (Pierre Michon, l’écriture absolue, textes réunis par Agnès Castiglione, publication de l’Université de Saint-Étienne, 2002, 23e.) Trois ouvrages de Pierre Michon viennent de sortir en librairie : un beau livre chez Marval (Bovary, photographies de Magdi Senadji) et, chez Verdier, deux nouveaux textes, Corps du Roi et Abbés. Pierre Michon évoque ici ces œuvres, et plus généralement son métier d’écrivain.

Comment définiriez-vous votre relation à l’écriture ? 

La relation à l’écriture est pour moi quelque chose de sacralisé, de fétichisé : c’est un rapport empêché. C’est en effet ma vocation, c’est exactement ce que je voulais faire mais c’est quelque chose que je fais en sachant, en pensant ou en fantasmant ne pas pouvoir le faire. Je suis en permanence dans cette sorte de situation paradoxale. Une menace très pénible parce que ne pas écrire est un problème total, un problème pour ma vie ou ma survie. De temps en temps, la soupape de sécurité se débloque et alors j’écris, et puis, tout à coup ça revient, j’entre dans une phase de mutisme et je suis littéralement incapable de le faire.

Mais cette sensation de blocage se traduit comment ? par une impossibilité radicale d’écrire ou par la déception de ne pas parvenir à écrire ce que vous souhaiteriez ?

Je ne veux pas être déçu par ce que je fais. Donc je n’écris pas si je ne suis pas sûr de mon coup. Je lisais récemment dans une revue littéraire un entretien avec un auteur d’aujourd’hui, Dominique Rolin, qui disait : « un écrivain qui n’écrit pas tous les jours est foutu ». Ça, je ne comprends pas. Je ne comprends pas, parce qu’un écrivain qui écrit tous les jours désacralise sa relation à l’écriture. Il en fait une activité quotidienne au sens propre comme au sens figuré, quelque chose d’ordinaire et d’aussi trivial que les gestes élémentaires de la persistance biologique : se nourrir, dormir, pisser, etc.

Et puis j’imagine que vous y voyez un risque de graphomanie, d’inconsistance, de machine qui tourne à vide ?

Non, pas nécessairement, et peut-être y a-t-il même des écrivains qui peuvent vivre miraculeusement le sacré tous les jours – comme Hugo, ou comme notre ami Flaubert par exemple : des géants qui sont parvenus à ne rien gâcher de leur relation à l’écriture tout en la pratiquant chaque jour, obstinément. Mais moi, je ne peux pas. Sans compter que la rature, pour moi, n’est pas une solution. Elle peut servir, ici ou là, ponctuellement, pour perfectionner l’expression, mais sur quelque chose qui vient, et que rien n’arrête. Si la rature devient massive, si je pressens simplement qu’elle menace avant même que les mots ne soient tracés, alors c’est que l’écriture est impossible. Je ne veux pas de cette sorte d’affrontement avec l’aphasie. Le repentir ne peut pas être présent à l’origine de ce qui cherche à se formuler. Pour moi, on écrit quand l’écriture exerce sa pression.

Comment s’est construit pour vous ce rapport du tout ou rien à l’acte d’écrire ? Et d’ailleurs, quand avez-vous commencé à écrire, c’est-à-dire à être empêché d’écrire ?

En fait, j’ai attendu d’avoir trente-cinq ans pour me confronter au problème d’écrire comme je l’imaginais, comme je le désirais réellement. À cette date, j’ai fait un texte qui, je crois, a disparu. Je ne sais plus où est le manuscrit. J’ai écrit une histoire fantastique. Ce texte n’avait pas de titre défini, mais c’était une histoire que j’avais cherché à écrire comme l’aurait fait un savant qui aurait vécu entre la fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe siècle, avec la langue parfaite de cette époque-là. Je racontais l’histoire d’une peuplade caucasienne pour laquelle le seul symbole du sacré était le drap mortuaire, « L’Étendard du Dernier Soupir ». Voilà, ç’aurait pu être le titre : EDS. Donc, dans cette peuplade, quand quelqu’un mourait, on prenait le plus grand soin pour l’envelopper méticuleusement dans un linceul, puis on recueillait ce drap et, après cela, on balançait le cadavre dans une fosse, sans autre égard pour le corps qui en lui-même ne présentait aucun intérêt pour personne. La coutume était de pendre le drap mortuaire comme une sorte de bannière, et sur ce drap exposé on lisait le monde, l’avenir, les guerres, l’amour, tout. On y interprétait le moindre indice : une ombre, une froissure, le plus léger pli, une tache imperceptible, les traces des derniers instants du défunt y formaient un texte à déchiffrer. Voilà. Mon grand modèle, pour écrire, c’était Galland, et je me rappelle que, dans mon histoire, il y avait un Commandeur des croyants…

Vous avez aimé les Mille et Une nuits, dans votre jeunesse ?

Oui ! Oh oui, et c’est étonnant : je m’aperçois à l’instant que je n’en ai jamais parlé… Je n’ai jamais pensé à citer ce texte quand on m’interrogeait sur les livres qui m’avaient marqué. Ça a été pourtant une lecture essentielle. J’ai même pensé écrire un texte sur Galland. J’ai eu très fort envie de cela.

Il n’est pas trop tard.

Non, vous avez raison, je le ferai peut-être… En tout cas, ce texte un peu halluciné sur le décryptage des linceuls a été pour moi une sorte de portail. Je n’ai jamais terminé ce manuscrit, mais il m’a permis de passer d’un seul coup à la rédaction des Vies minuscules. Je ne sais pas comment. Je n’en ai aucune idée claire, mais brusquement je me suis dit : ce n’est pas la peine d’écrire des histoires à dormir debout sur des Caucasiens du XVIIIe siècle, dans une langue précieuse. Il faut faire autre chose. C’est bizarre. Il n’y a aucun rapport.

L’idée de trace, de reliquaire, de vestige contenant une mémoire, tout cela n’est pas sans rapport avec l’univers des Vies minuscules… non ?

Si vous voulez, mais dans ce premier texte, c’était la mort bouffonnée, la mort en général, la mort des autres interprétée ; tandis que dans les Vies minuscules, c’est la mort des proches affrontée.

Donc, vous n’avez pas d’« œuvres de jeunesse » ? Vous n’avez rien écrit pendant vos années de collège ?

Si, de la poésie, nulle : c’était du sous-Apollinaire, du sous-Baudelaire… De la poésie rimée et alexandrine, parfois des hexamètres. Rien, quoi ! je pratiquais les formes poétiques du siècle dernier, XIXe, début XXe, car au lycée de Guéret, au fin fond de la Creuse, je n’avais aucun moyen de connaître la poésie contemporaine. Je me souviens, en classe terminale, au tout début des années 60, le prof de français demande à la classe de quoi l’on voulait parler. Moi, je dis « Verlaine » ou quelque chose d’aussi révolutionnaire que cela. C’était l’époque où venaient de débarquer dans les classes les enfants des pieds noirs expatriés d’Algérie, des gens d’Oran, de Constantine ou d’Alger : des élèves de la ville, beaucoup plus branchés que les Creusois. Le prof repose sa question et il y a un jeune pied noir qui dit : « Antonin Artaud ». J’éclate de rire en hurlant un truc idiot : « Qu’est-ce que c’est que ça, Artaud ? Il aime Artaud, celui-là ! Ouaff ! il est marteau. » Le prof fronce les sourcils et dit : « Michon !… Taisez-vous Michon ! » Donc, voilà : la première fois que j’ai entendu parler d’Artaud, j’avais dix-sept ans et je ne savais pas du tout de quoi il s’agissait. Le stock littéraire pour moi devait s’arrêter à Eluard et Aragon. Cela dit, cette année-là, on n’a pas travaillé sur Artaud, et je l’ai découvert tout seul. Je ne savais rien ou presque de l’écriture contemporaine. Je dirais même, d’ailleurs que, vingt ans plus tard, les Vies minuscules ont été écrites dans une ambiance mentale qui n’était pas très différente : elles sont d’une époque où je commençais tout juste à m’informer de l’actualité littéraire.

Pourtant les Vies minuscules donnent à la lecture la sensation d’une écriture très cultivée, pleine de références ?

Oui, peut-être, mais pleine d’une culture très classique grecque, latine et française, mais sans aller bien au-delà du XIXe. Une culture scolaire. D’ailleurs je n’ai commencé à lire Le Monde des livres que depuis que je publie, et encore, le plus souvent, surtout pour voir si l’on parle de moi. Les péripéties du champ littéraire me faisaient peur. C’est une ignorance qui a été une grande force pour moi, au moment où je me suis décidé à devenir écrivain. Je n’ai pas eu à me demander dans quel camp j’allais devoir me ranger. Si j’avais dû faire ce choix, je pense que j’aurais finalement renoncé à écrire. Je ne lisais pas la presse d’information littéraire parce qu’elle me terrifiait. Et elle me terrifie toujours. C’est paralysant.

Les Vies minuscules ont été écrites dans la méconnaissance du champ, et c’est leur succès qui vous a rassuré…

Oh ! Vous savez, au départ, c’était un succès très bénin. La première année j’ai vendu exactement 1918 exemplaires, un chiffre historique, et presque victorieux, mais enfin pas très brillant… Vraiment pas de quoi parader. D’ailleurs, ça ne s’est pas arrangé très vite : j’ai pleuré pendant quatre ans. J’avais fini par faire le deuil de ce truc : je me disais, j’ai mis là le meilleur de moi-même et c’est un coup d’épée dans l’eau, tant pis ! je pense qu’il y a plein d’écrivains qui portent le deuil, comme ça, d’un premier livre qui est resté inaperçu et dont l’insuccès suffit à les dissuader de continuer. Moi, j’avais foi en ce livre, j’y croyais d’une croyance existentielle, j’avais absolument besoin d’y croire, et puis j’ai eu de la chance après coup : il a fini par trouver son public.

Cette certitude existentielle de la valeur du livre, une fois qu’il est écrit, est-elle de même nature que la certitude qui accompagne les moments d’écriture, pendant la rédaction : ces moments où vous sentez qu’écrire est possible, que ça vient ?

Oui, je crois. C’est la même chose pour moi. Le livre fini c’est la somme de ces moments d’énergie combinés. Mais justement, je ne dis pas que ce livre était « bien ». Je dis qu’il était ce que je pouvais faire de mieux, à cette époque-là de ma vie, avec les moyens qui étaient alors les miens. J’avais trente-sept ou trente-huit ans. Je l’ai écrit par fragments, son unité est composite comme les histoires qui le constituent. Le titre Vies minuscules m’est venu assez vite, mais il ne recouvre pas tout à fait la réalité du livre. Au départ, je voulais faire des nouvelles borgésiennes sur des personnages comme Galland, raconter des vies de traducteurs, de découvreurs, d’archéologues. Mais pour être exact, c’est un livre qui est constitué de deux morceaux. Il y a des textes qui me sont venus d’un seul coup, à la suite, et d’autres qui sont venus plus tard.

« D’un coup », ça veut dire quoi ?

Ça veut dire que j’ai écrit cinq histoires en un mois et demi. Dans l’ordre d’apparition, il y a eu La Vie d’Eugène et de Clara, puis André Dufourneau, Le Père Foucault, George Bandy et Antoine Péluchet. C’est ce premier manuscrit que Louis-René Des Forêts avait d’abord présenté au comité de lecture de Gallimard. Mais Michel Tournier – que par ailleurs j’aime bien – avait finalement dit : Niet ! ça ne vaut rien. Donc Gallimard ne l’avait pas pris. Premier deuil. Sur ces entrefaites, Des Forêts, qui avait quitté Gallimard, m’écrit du fond de son Berry pour me dire de ne pas me décourager, en insistant pour que je publie ces textes. C’est à ce moment-là que je me suis décidé à ajouter trois autres histoires pour donner plus de consistance au volume ; dans l’ordre de leur rédaction : La Vie de Claudette, celle de la petite morte et celle des frères Bakroot. Une fois ces nouveaux récits au point, je renvoie le tout chez Gallimard à Grosjean qui me dit : « Oui ! on publie ». Si bien que c’est par les poètes, c’est-à-dire au fond par la bande que ce texte de narration a fini par se transformer en livre chez l’éditeur qui l’avait d’abord rejeté. Mais je suis resté un passager clandestin. Chez Gallimard, on me prenait, on me prend toujours, pour un abruti du Caucase, une brute, ce que je suis certainement d’ailleurs. Moi, en même temps, j’étais sûr que ce livre était juste. C’était ce que je pouvais faire de plus conforme à ce que j’étais alors, sans trop avoir l’air de peiner et surtout en restant dans ce que j’estimais être la littérature.

C’est-à-dire ?

C’est-à-dire en me tenant dans quelque chose qui cherche à se rapprocher du sacré. Pour moi un texte littéraire est une chose intouchable : quelque chose comme une totalité close sur elle-même, une réalité autoréférée, entièrement cadenassée, fermée peut-être sur son autisme, mais qui vit dans sa propre clarté.

Pas si autiste que ça puisque c’est un récit que les lecteurs ont su s’approprier comme une sorte de fiction autobiographique dans laquelle chacun peut aller à la rencontre de ses propres secrets…

Je suis très heureux que vous me disiez cela. J’aimerais que ce soit vrai, mais si c’est vrai, d’où vient cet effet magique ? Un texte autoréférencé – c’est une expression de Claude Duchet, je crois – c’est une écriture qui tient debout toute seule, mais une jambe dans le réel et l’autre dans la littérature. C’est quoi le réel articulé à la langue ? On le trouve, par exemple, à l’état brut dans certains noms de lieux : les lieux-dits, les noms de carrefours – croix du Sud, croix de Laurençon – ces mots qui désignent des sites non habités, à l’écart, et cependant marqués, par une croix, une pierre levée ou un arbre remarquable. On a toujours l’impression que ces lieux sont liés à un viol, une mort violente ou à une adoration oubliée, à la mémoire d’un crime ou d’un saint obscur. Le carrefour a quelque chose de violent en lui-même. Et puis, j’aime les très anciennes nominations : les noms de fleuves, par exemple, qui se ressemblent partout dans le monde, sans explication possible, avec une similarité à rendre fous les étymologistes. Je repense aussi aux noms de ces hameaux de la Creuse où se déroule l’action des Vies minuscules : quand je me suis dit que j’allais nommer ces lieux en leur conservant leurs véritables noms topographiques, quand j’ai vu que ma main acceptait de tracer ces mots-là, j’ai eu la sensation qu’ils étaient aussi forts et aussi vrais que ceux de La Recherche. Je ne pense pas aujourd’hui qu’ils aient la même importance, mais au moment d’écrire, il faut pouvoir se raconter des choses comme cela, sinon l’écriture s’arrête.

Quand vous dites « ma main acceptait cela », vous parlez un peu comme un peintre ou un architecte lorsqu’il s’agit d’évoquer une réalisation graphique instinctuelle, dont la justesse ne vient pas du raisonnement mais d’une décision du corps. On peut dire la même chose pour l’écriture littéraire, à certains moments ?

Comment expliquer cela ? Tenez, j’aperçois Préhistoire de l’art occidental, là, pas loin dans votre bibliothèque, et quelques autres bouquins de Leroi-Gourhan. Lui, Leroi-Gourhan pour désigner ces choses-là, parlait du « champ antérieur », dans Le Geste et la Parole. Le champ antérieur, c’est la main – la bouche, ce va-et-vient entre les deux. Eh bien ! l’écriture, je dirais que c’est un comble de perfection du champ antérieur : la bouche est détachée, mais elle parle en même temps que la main écrit. Évidemment, il y a aussi de la finauderie, de la ruse, de la manœuvre, de l’artifice, mais au bout du compte, c’est la main qui décide, et elle, elle ne peut dire que la vérité. Si la main tout à coup s’emballe sur de l’écrit, c’est parce que ce n’est pas seulement avec de l’écrit qu’elle est en train d’entrer en relation. C’est, tout autant, avec de la nourriture, avec le corps entier, avec l’âme, l’idée et avec la voix aussi, une parole chuchotée ou même silencieuse.

Vous dites vos textes en les écrivant ? ou ressentez-vous l’image phonématique des mots et des phrases que vous tracez ?

Je les dis, oui, mais dans une sorte de caisse de résonance intérieure, une chambre d’écho d’où la parole ne s’échappe pas. C’est une sorte de rumination qui reste derrière les lèvres. Pas le gueuloir de Gustave. Je n’ai pas besoin d’articuler. Je ressasse la phrase dans l’arrière-gorge, là où se trouve la racine du plaisir oral. Écrire n’est pas tout à fait ce que l’on croit : il ne s’agit pas que la finasserie, l’intelligence, le sens, l’image ou le son finissent par l’emporter sur le reste, mais au contraire que toutes ces choses, tout à coup se mettent en faisceau, se réunissent en un seul trait de lumière, exact, nécessaire. La question, c’est de trouver la formule juste, précise, qui mette tout en phase. En phrase.

Et cette formule harmonique a elle-même pour but de suggérer le sacré ?

Non, pas du tout ! C’est la pratique qui est sacrée, l’écriture comme pratique, rien d’autre, rien de plus. Et il ne s’agit que d’une perversion personnelle. Sans aucun doute. Quant au résultat, dans le meilleur des cas, je sais bien qu’il ne sera sacré que pour moi. Et encore ! dans une évaluation qui tient compte des métamorphoses par lesquelles je deviens moi-même étranger à ce que j’ai fait. Je me dis aujourd’hui que les Vies minuscules ne sont peut-être pas « bien », mais en les relisant je ne peux qu’être imprégné de ce que j’étais quand je les ai écrites et du plaisir fou que j’y ai pris. Ça me rassure un peu. Ce plaisir, lui, est très simple à comprendre : un individu x s’affronte au projet de décrire sa propre vérité et d’en faire une belle chose qui pourra plaire aux autres, et tout à coup ce projet prend forme et réussit. Une beauté qui plairait sans exprimer ma vérité, je ne vois pas par quelle voie ni avec quelle énergie je pourrais l’atteindre ni à quoi ça pourrait ressembler. Et d’un autre côté, ma vérité brute donnée sans beauté ne serait intéressante pour personne. Mais que par miracle les deux exigences se trouvent réunies en une seule formule, ça c’est le plaisir : c’est tout ce qu’on peut faire.

Et cette « vérité » subjective, comment la définiriez-vous ? N’est-elle pas profondément généalogique dans votre imaginaire ?

Oui, mais comment pourrait-on ne pas être pris dans la famille, la filiation, la langue et cette relation dont la psychanalyse et bien d’autres disciplines nous ont appris être le lien même de l’individu, plus loin et plus intensément que le lien social lui même ?

Et la généalogie littéraire ? Qui sont vos familiers en littérature ? Ceux avec qui vous vivez, ou ceux dont vous êtes issu ?

Difficile à dire. Mes familiers formateurs ont été ceux du panthéon scolaire. Sinon, ça n’arrête pas de changer. En ce moment par exemple, mes familiers, c’est Li-Bai, Su-Dongpo, Bai-Juyi : les poètes chinois, depuis deux mois. Et puis il y a les familiers occasionnels, ceux que je lis dans le sillage de ce que j’écris. L’année dernière, pendant tout le moment où j’écrivais le Corps du Roi, ma familiarité c’était les Lundis de Sainte-Beuve. J’ai lu les 30 volumes. Fascinant ! C’est plein d’écrivains dont je n’avais jamais entendu parler. Et Sainte-Beuve a été calomnié. C’est réellement une grande plume. Cela dit, je n’en fais pas non plus un monstre. Quant aux monstres, j’en ai fréquenté beaucoup. Entre 22 et 26 ans, par exemple, Céline a été ma référence absolue, et puis je me suis défait de cette fascination. Il est resté sans influence sur moi. Je continue à le lire pour le plaisir : « Toutes ces viandes saignaient énormément ensemble », mais je m’en suis éloigné à cause des épigones. Céline est très facile à imiter, enfin, apparemment. Ils ont été nombreux à faire du Céline, à leurs dépens : ça a donné de petites flaques dérisoires. Quant à moi, je ne courais pas grand risque : Céline est de naissance urbaine, c’est un enfant de la ville, et moi non. Il exploite une vieille veine d’argot enfantin que je n’ai pas. Et là-dessus, on ne se refait pas : si j’avais essayé de me greffer sur cette langue-là, qui n’est pas la mienne, ç’aurait donné quelque chose de strictement artificiel. En même temps, je n’ai pas non plus de racines rurales. Mon vrai terroir, c’est l’école : j’ai appris la littérature par la bouche des instituteurs. J’essaye sans arrêt de m’en défaire, et j’y reviens toujours, c’est plus fort que moi, j’ai une tendresse infinie pour ce vieux fonds scolaire, qui n’appartient ni à la ville ni au régional, mais au pays et à son histoire.

Mais alors, précisément, cette littérature-là, iriez-vous jusqu’à dire qu’elle habite votre écriture ?

Ah oui, bien sûr ! Et même, je peux avouer que je suis une véritable éponge. Ce que je suis en train de lire passe toujours dans mon texte, même si ça ne se voit pas. Ce que je suis en train de lire et tout ce que je connais par cœur. Dans Corps du Roi, il est question de Villon et Hugo. Mais La Légende des siècles et Le Testament sont des textes qui font partie de mon lexique : ils sont intégralement en moi, plus clairs que mes propres souvenirs. Ces deux textes-là, et beaucoup d’autres. Plein de textes de Hugo, de Flaubert, Rimbaud, Faulkner, Baudelaire. C’est ma bibliothèque neuronale. Elle fonctionne à plein dans mon écriture, toujours. Au point qu’il m’arrive de m’emparer sans guillemets de ces textes intérieurs, quand ils s’imposent. Il y a une parenthèse dans Corps du Roi, où j’écris « (nous sommes tous plus ou moins fous) ». C’est un vers des Fleurs du Mal, dans « Le Vin de l’assassin ». Il y a beaucoup de blocs, de pépites comme ça, que je ramasse dans ma mémoire et qui s’incrustent dans ce que j’écris. Mais l’emprunt transite souvent par la note, avant de passer dans la rédaction. C’est là qu’il se met à perdre ses guillemets. Dans mon esprit, il en a. Dans mon texte, souvent non. Simple affaire de déontologie personnelle.

Pour Corps du Roi, vous avez utilisé des carnets ? Comment s’est déroulée la genèse de cette œuvre qui réunit plusieurs blocs d’écriture ?

J’ai ouvert un carnet pour le texte sur Flaubert, un également pour celui sur Hugo. Si je vais du plus récent au plus ancien, la rédaction du Hugo m’a pris trois mois à peu près, le Flaubert, un mois et demi, tandis que le Faulkner a été écrit en trois jours et le Beckett, en une matinée. À l’origine, ces deux textes-là étaient des commandes : je les avais écrits d’instinct et dans l’urgence, à partir d’un portrait photographique, sans doc, presque sans contenu, donc sans carnets…

Ces textes sur Beckett et Faulkner, à cause des portraits sans doute et du jeu entre le je et l’image, m’ont un peu fait penser à Barthes.

Oui ! La Chambre claire a été un événement qui m’a marqué. C’est un bouquin que j’avais adoré aussi parce que Barthes y parle admirablement de sa mère. Quitte à parler d’influence, là, oui, c’en est une que je revendique. Barthes a été l’un des grands sur-moi de ma génération. Mais lui n’était pas un mauvais père qui vous comprime les poumons comme certains autres de Tel Quel. Au contraire, il a été le bon père, celui qui vous laisse de l’espace pour respirer et même qui vous inspire. Surtout quand est sorti son RB par RB. Là, on s’est dit : Liberté absolue ! Dans l’avant-garde, il a été une sorte de poète des temps, un libérateur exilé au pays des dogmatiques.

Revenons à la rédaction de Corps du Roi…

J’avais donc ces deux textes sur Beckett et Faulkner dans un tiroir. Comme diraient les chrétiens, « la présence réelle » de la photo, dans les deux cas, créait des homologies qui pouvaient aider à les réunir, mais je n’y pensais pas. C’était le moment où j’étais plongé dans les Arabes, les auteurs de l’Islam. J’avais ouvert un carnet sur la question. Une traduction de François Viré, que j’avais adorée, m’a brusquement donné envie de faire « L’Oiseau », un petit récit arabisant, comme ça, pour le plaisir, sans intention particulière. Le Flaubert est venu après : c’était au départ un texte écrit pour accompagner un album de photographies, le Bovary de Magdi Senadji, mais, à partir de là, j’ai commencé à entrevoir le projet d’un livre qui pourrait réunir ces quatre textes comme les membres d’un même corps. Quand j’ai commencé à écrire le Hugo, l’idée était en place, c’était le cinquième morceau du puzzle et le projet avait pris figure. Ce dernier texte, « Le ciel est un très grand homme », fait clef de voûte et forme l’ensemble puisqu’il me rattache en première personne à mon petit panthéon sans m’y associer de prétentieuse façon. J’assume le fait d’être porte-voix de Victor Hugo, et ça a été un bonheur d’écrire ça. D’ailleurs, c’est décidé, maintenant, je vais faire comme ça : une énonciation à la première personne, avec un rempart de lettrés partout autour du « je ». Des lettrés chinois, par exemple. J’aime cette figure du lettré un peu mandarinal, franchement savant, mais qui, cependant, vit sa vie. C’est là-dessus que je vais écrire.

La figure de l’arbre traverse pas mal de vos textes.

Oui, tous.

On sait que l’arbre et ses métaphores offrent d’immenses ressources pour parler de presque tous les aspects du réel et de la pensée, mais on sait aussi que l’arbre est une figure profondément ancrée à droite, politiquement : à la tradition, la terre, la hiérarchie, l’autorité patriarcale. Vous avez tout à fait le droit de me dire que je me trompe… Mais comment vous situez-vous ? Êtes-vous un écrivain conservateur ?

L’arbre, de droite ! Même si c’est vrai, vous oubliez qu’il y a du vent dans les arbres. Le vent qui déracine celui dont la tête du ciel était voisine et dont les pieds touchaient à l’empire des morts. Ah ! mais tout de même, je n’avais jamais pensé l’arbre comme métaphore de droite… Remarquez, je suis élitiste de gauche, c’est peut-être ça ? Mais attendez, si je pense « arbre », là comme ça, je ne pense pas trop à l’arbre-objet qui se voit dans la nature. Si je pense arbre, je me vois dans son ombre, je me sens sous des ombrages. Voilà : je suis à couvert dans l’ombrage ; il y a beaucoup de jouissance secrète à se tenir là et une grande participation aussi à une circulation des énergies qui le traversent. Alors, oui, dans Booz endormi, l’arbre est un truc phallique et familial, mais pour moi, non. D’ailleurs il n’y a pas que l’arbre en majesté dans mes textes. Dans Maîtres et Serviteurs, il y a même un mot de dégoût de Watteau au sujet des arbres en peinture. Vous avez raison, effectivement, l’arbre est une question. L’arbre n’est pas un rhizome, mais la population est plus importante que l’individu. Une chênaie compte plus qu’un chêne. Le tigre est de droite, depuis Borges, mais l’arbre, non ! Ça m’embête cette idée. Et c’est très important, parce que pour moi, le simple fait de dire « des arbres », ça m’apaise. C’est tutélaire, c’est protecteur, donc même quand c’est phallique, c’est maternel. Pas au sens maternel phallique du féminin noir, mais au sens Jean Valjean : du masculin qui peut occuper la place d’une mère pour vous protéger. Tout le contraire de la féminité d’Hitler.

Restons dans le politique : quelle est pour vous la place de l’écrivain aujourd’hui dans la cité ? Est-il porteur d’un message ? Comment vous situez-vous par rapport à la liberté de dire ?

Ma grande autocensure, qui était ma mère, est morte. Dans l’état de liberté où nous vivons dans ce pays, je ne vois pas quel gouvernement pourrait exercer sur moi une pression aussi forte. Je ne me sens d’ailleurs sous la menace d’aucune censure politique. L’engagement est un autre problème. Pour un écrivain, intervenir sur le politique directement, c’est toujours casse-gueule et pas très efficace. Houellebecq sur l’Islam a eu une réaction d’humeur. Je comprends cela très bien. J’aurais pu dire une énormité du même genre. Moi, j’aurais tenu le discours exactement inverse, en me réjouissant plutôt de la chute des Twin Towers comme d’une libération, mais heureusement, personne ne m’a demandé mon avis, ce qui m’a évité de dire une connerie à laquelle, aujourd’hui, je ne crois plus du tout. Enfin, je pense toujours que les tours de Manhattan sont tombées le jour de l’enterrement de ma mère. J’ai du mal à penser qu’il s’agit d’une simple coïncidence. L’anniversaire du jour aussi où l’on a écrasé dans le sang la démocratie à Santiago du Chili… Mais pour en revenir à votre question sur la cité, soyons clairs : je suis démocrate. La démocratie est le meilleur des systèmes, en tout cas le moins mauvais, comme disait Churchill, mais il repose quand même sur un mécanisme exaspérant : le suffrage du plus grand nombre. Que ce quantitatif-là fasse le saut qualitatif, ça, intellectuellement et moralement, jamais je ne pourrai l’admettre. Jamais. C’est l’arbitraire du nombre. Mais au fond, même là-dessus, je ne suis antidémocrate que parce qu’il faut bien dire du mal de son époque. Comme tout le monde, j’oscille entre le scrogneugneu et le démocrate à tout va, selon les circonstances. Aujourd’hui, comme mon bouquin se vend bien, je me sens plutôt très démocrate.

Flaubert critiquait aussi l’idée de suffrage universel. Sa préférence serait allée à une République des savants et des lettrés. Et vous ?

Pour être tout à fait franc, je dois vous dire que je me sens également surtout solidaire des lettrés. Que ce soit une caste au pouvoir – ah ! une démocratie des lettrés ! –, que ce soient des gens qu’on tolère, qu’on laisse vivre, ou au contraire une espèce qu’on réprime, il y en a toujours eu à peu près le même pourcentage par rapport à la population. Voilà de quoi je me sens solidaire. Les autres, j’aimerais que ça se passe bien pour eux, mais je n’ai pas à parler en leur nom. Je ne m’en sens pas le pouvoir ni le droit. Quel rôle doivent jouer les lettrés ? Celui d’inciter à la tolérance et à la liberté de penser. Mais encore faut-il qu’on lise leurs livres et qu’on les écoute, Or, on les écoute de moins en moins. Ce que je crains, à plus ou moins brève échéance, c’est l’autodafé, le mouvement de haine contre la pensée. Je serai peut-être mort, déjà, mais je suis certain que dans le siècle qui vient le monde connaîtra l’embrasement d’un gigantesque autodafé. La nouvelle bibliothèque d’Alexandrie, qui vient juste d’être inaugurée, brûlera certainement. En détruisant les Bouddhas, les talibans ont indiqué la direction, qui était déjà celle d’Omar quand il était entré pour la première fois dans Alexandrie : « De deux choses l’une. Ou bien cette bibliothèque regorge de choses qui ne sont pas dans le Coran, c’est-à-dire de choses impies : dans ce cas, il faut les brûler ; ou bien elle regorge de choses qui sont déjà dans le Coran, et alors il faut aussi les brûler. » Mais ne nous y trompons pas, il n’y aura pas que les islamistes pour mettre le feu aux livres. Quand on déclare la guerre à « l’axe du mal », on prépare aussi des autodafés. Bien plus, cela veut dire qu’on a déjà brûlé beaucoup de livres dans sa cervelle. Pour tout miser sur la communication, il faut aussi avoir travaillé la bibliothèque au lance-flamme. Or, pour revenir chez nous, en France, avisons-nous d’une chose : la Troisième République nous a appris que savoir vaut mieux que ne pas savoir, qu’il y a une immensité de jouissances promises à celui qui cherche à savoir. Protégeons cela, au moins pour le petit cercle des initiés et des lettrés qui assureront la transmission. Beaucoup de gens ici même sont persuadés du contraire : qu’il y a plus de jouissance à ne pas savoir. L’obscurantisme progresse à grandes foulées. Dans le domaine de la culture, il y a déjà deux vitesses, totalement découplées, et ça paraît irrémédiable. Le cirque et la pensée critique. L’audimat et le livre. Ça ne fait pas honneur à la démocratie, mais que faire ? On ne peut quand même pas vouloir une démocratie autoritaire, à l’athénienne ? Alors, tant pis. Tâchons seulement d’éviter le pire : qu’ils ne nous imposent à tous le cirque après avoir brûlé tous nos livres, Comme on disait en l’an mil : Tempora pessima sunt.

 

Pierre Michon, écrivain de l’incertain

par Marie-Laure Delorme

Il réussit à capturer, à enserrer par une écriture rugueuse à force de bagarres, les séismes de l’univers. La fulgurance des destins, la cruauté et la beauté de la nature, la dérobade des sens. Pierre Michon est le romancier du tremblé. Il saisit comme nul autre, à l’aide de textes brûlants qui inventent leur propre forme, ce moment précis où la vie, semblant se défaire comme une pelote de laine, atteint en fait un état de grâce jusque-là méconnu. On retrouve dans Abbés et Corps du roi ses thèmes de prédilection. Le règne de la figure paternelle, le rendu de l’insaisissable, le secondaire transformé en primordial, la nécessité de l’humour, la puissance du langage poétique. Et puis, aussi et surtout, l’orgueil. Il y a entre ses deux courts livres, si dissemblables en apparence dans le propos et l’expression, aux rythmes bien divers, une évidente parenté : des hommes, et cela est bien évidemment poignant, se mesurent au sublime.

Des bénédictins tentent d’établir, autour de l’an mil, leurs monastères dans les terres inhospitalières de la Vendée. Ils veulent ordonner (la nature), régner (sur les hommes), posséder (le pouvoir). Mais, dans l’ivresse des faciles victoires, des plaisirs de la chair, des secrets bien gardés, ils oublient que « toutes choses sont muables et proches de l’incertain ». L’abbé Eble, dans le premier récit, entreprend d’assécher le marais au pied de Saint-Michel. Il convoque, pour cette tâche, le peuple des pécheurs. Il remarque, parmi eux, une femme à la beauté grave. Il connaîtra, avec elle, la chute et la grâce ; la mort et la vie. La comtesse de Poitiers, dans le second récit, voit la main de Dieu sur un sanglier retrouvé mort. Elle ne perçoit donc pas qu’il est le terrible instrument, à travers la passion et l’adultère, de son destin. L’abbé Théodelin, dans le troisième récit, dérobe la dent de Jean-Baptiste et dissimule la relique dans le sable sous un mélèze. Tout, à partir de ce moment-là, par la force d’un bégaiement effacé, se pare d’un sens. Mais l’abbé oublie que le sens doit continuer à se chercher dans le mouvement des nuages. L’eau, profonde, sombre et claire, invaincue, violente, court tout au long des trois récits.

Corps du roi réunit cinq textes. Pierre Michon distingue, à partir d’une photo de Samuel Beckett, le corps de l’homme et le corps de l’écrit. Il distingue mais ne sépare pas. Parce que l’un est la création de l’autre. Parce que l’un est la volonté de l’autre. Parce que l’un, tout simplement, va avec l’autre. Extraordinaires portraits de Flaubert et de Faulkner. Ils sont là, comme des hommes, mêmes faiblesses, mêmes paresses, et puis tout d’un coup, ils deviennent différents des hommes. Ils se hissent, œuvres et masques confondus, à la hauteur des dieux. Ils sont, à la fois, grotesques et sublimes. Dignes d’admiration et coupables de mépris. Et cela est magnifique car « le sérieux avec lequel nous considérons la littérature serre le cœur ». Dans Corps du roi, Pierre Michon consacre également plusieurs moments à son usage personnel de la prière. Les passages sur le décès du critique littéraire Renaud Matignon s’avèrent bouleversants par ce qu’ils charrient de vie entremêlée. De bassesse et de grandeur. D’humour et de gravité. De pépites trouvées dans notre boue. D’humaine condition.

L’auteur des Vies minuscules (Gallimard, 1984) et de Rimbaud le Fils (Gallimard, 1992), grand écrivain de l’incertain, tient une place à part dans la littérature française. Il possède une langue, ici épurée et là lyrique, joueuse des archaïsmes, maniant l’argot, ne cédant sur rien, très contrôlée, toujours unique. Les lignes relatant le décès de sa mère, dans Corps du roi, transportent la totalité de son univers. La mort puis la vie, l’appel à la nature, l’amour de la littérature, le retour à l’enfance, une certaine grâce. Car il ne faut pas oublier qu’il s’agit ici, à chaque fois, mot par mot, de rendre compte du tremblé : l’écriture comme une fragile résurrection.