Page des libraires, décembre 2009, par Yann Granjon, Librairie Sauramps (Montpellier)

De haute langue

« […] ça marche quand je suis ivre de mon sujet ». Michon reprend son chemin d’écriture dur les marges confondues de la fiction et de l’Histoire. L’ivresse est partagée.

Pierre Michon a-t-il secrètement rêvé un jour d’être peintre et de traduire le monde non pas au moyen des mots mais des couleurs et des formes ? Les portraits et les histoires de peintres parcourent son œuvre avec persistance. Les Onze est le récit de la genèse d’un tableau célèbre, symbole d’un épisode tragique et crucial de la Révolution française, la Terreur de 1793, du rôle des personnages qui y sont représentés, et des circonstances secrètes dans lesquelles le peintre François-Elie Corentin fut chargé de représenter pour la postérité l’image des onze du Comité de salut public. Ce tableau n’a en réalité jamais existé, non plus sans doute que son auteur, et Michon n’a pas écrit un roman historique, mais une réflexion sur le pouvoir et ses dérives, sur l’Histoire comme forme peut-être la plus aboutie de la fiction. À travers le récit imaginaire de ce tableau, il nous montre de quelle façon celui-ci doit autant aux intentions de ceux qui l’écrivent, ou en suscitent l’interprétation, qu’à la réalité des faits. L’Art n’est jamais innocent, il choisit son camp.