L’Événement du jeudi, 15 novembre 1990, par Patrice Delbourg

Pierre Michon chevalet servant

Le peintre séduit son modèle. Les épaules nues des marquises subjuguent la surface du tableau. L’écrivain contemple ce tango amoureux en miroir et nous rapporte la part futile et volontaire du créateur en proie au désir d’absolu. L’un déplore le scandale de ne pas avoir eu toutes les femmes. L’autre gémit d’être au monde sans avoir assez de couleurs pour témoigner. Chacun souffre de ne pas être le meilleur des portraitistes et le plus fougueux des amants. « Ainsi va la vie, Madame, des nains vivants qui cherchent à s’équivaloir à des géants morts. » Par son style hors gabarit, Pierre Michon d’emblée s’inscrit au club fermé des scribes miraculeux. Des phrases spectrales caracolent sur les cimaises dans un triptyque prestigieux : Goya, Watteau, Piero della Francesca à tube et à toile. Michon dispose d’une pâte chromatique céleste qui fait l’honneur de la corporation ; avec la fièvre anxieuse du miniaturiste épris de perfection, avec l’infinie douceur de l’orpailleur, il bouchonne des saynètes souples aux asters délétères pour immuniser les sosies de splendeurs évanouies. L’ambition du projet mais aussi son humilité, force l’admiration du chaland, tenté à chaque page de rythmer à haute voix la partition de cette cantate profane. On se souvient que l’auteur publia voici six ans Vies minuscules aux éditions Gallimard, livre impeccable de noblesse et d’harmonie. On soupire d’aise devant tant de grâce gravée dans le carrare.