Page des libraires, janvier 1996, par Hugo Marsan

Pierre Michon est un écrivain éblouissant, comme on le dit d’une lumière dont on ignore la source. Le mot « grâce » vient à l’esprit mais, trop vaste, il ne suffit pas à traduire l’occulte attraction de son œuvre. Les deux récits de Pierre Michon que publient les éditions Verdier n’exploitent pourtant que le préambule du roman, une mise en bouche délicieuse, l’excitation d’avant l’intrigue. Ils suggèrent le mystère et n’amorcent qu’un dénouement partiel. On pourrait se plaindre d’être abandonnés, affamés, dans la douloureuse obligation de recoller nos propres fantasmes, de compléter une histoire qui s’éclipse, se soustrait à notre adhésion, se faufile entre excitation et jouissance. On pourrait… mais le miracle reste intact. Les textes de Michon ont la même ensorceleuse évidence charnelle que les femmes qu’il décrit, des femmes convoitées alors même qu’elles sont ensevelies dans un autre amour, emportées dans le grand désarroi d’une passion que le narrateur ne fait que regretter, guetteur meurtri, témoin d’une cause à jamais perdue. Pierre Michon est le serviteur timide d’une littérature dont il connaît tous les stratagèmes. Cette modestie est sa force. Il garde l’espoir à vif du soupirant qui se croit éternellement banni.