Sud-Ouest, 18 mai 1997, par Gérard Guégan

Il ne s’agit pas d’aimer ou non la corrida, mais d’aimer lire

« Face à la peur »

Du Mexique, terre où la mort se donne en spectacle, Alain Montcouquiol a rapporté, gravée dans sa mémoire, cette exhortation à ne pas se voiler la face quand le destin s’acharne : « Pense fort à lui, recouvre-le de lumière. » Il s’en souviendra alors que son cadet vient d’être mis à bas par un grand toro gris, celui-là même qu’il « redoute depuis toujours », celui-là même qui va briser son frère. Nous sommes dans les arènes d’Arles, le dimanche 9 septembre 1989, le rêve est devenu cauchemar, Nimeño II, autrement dit Christian Montcouquiol, matador gardois de 35 ans, vient d’être touché par un Miura. Deux ans plus tard, pour ne pas avoir accepté l’inacceptable, Christian se suicide.

Et c’est pour toujours penser fort à lui qu’Alain écrit ce Recouvre-le de lumière qu’on lira d’un trait, indépendamment des sentiments que nous inspire la corrida. Car c’est à l’essentiel – la victoire sur la peur, donc sur soi-même – que ce récit s’efforce de donner forme. Dans l’histoire de ces deux frères, que s’oblige à raconter le survivant, les mots se hérissent de douleur quand bien même s’égrènent les heures insouciantes.

Il y a là comme la matière d’un de ces traités de morale active que recherchent les enfants, à chaque fois qu’ils mesurent l’inanité d’une existence d’où serait absente la passion. En de tels moments, ils s’empoignent avec l’histoire, mais qu’on en vienne à les en priver les voici errant dans les garrigues à la poursuite de ce qui leur donnera quand même la conviction d’avoir existé. La corrida peut alors fournir la possibilité. Et la clé.

Alain Montcouquiol, l’aîné de la lignée, ouvrit la voie. Le premier, il partira pour Madrid imposer cette idée, pour le moins intolérable, qu’un Français pouvait rivaliser avec des Espagnols. Puis, cédant la place à Christian, le gamin, il accepta d’en être, en quelque sorte, son Las Cases. Celui qui veille au grain et maintient par amour le cap. À présent qu’enfermé avec sa douleur – le suicide du frère après la mort accidentelle du père – il est assis à « gribouiller des feuilles de papier, dérisoire façon de calmer un instant cette douleur » qui lui serre l’estomac, Alain revoit ce qui a été et qui ne sera plus. Et cela donne, qu’il se rassure sur la prétendue dérision de son acte de foi des pages fortes, débarrassées de tout apprêt, de toute feinte, ces cochonneries littéraires qui sont la marque des pisseurs de copie. De tous ceux qui se la donnent héroïque sans prendre le risque de se regarder en face.

Or, Nimeño II aura passé sa courte vie à affronter l’image terrible de lui-même. En sorte que son frère n’aura pu que l’imiter avec Recouvre-le de lumière. Tant d’audace aura sa récompense. Ne manquez pas un tel livre. Fort est qui abat, plus fort est qui se relève.