Livres hebdo, 21 janvier 2005, par Jean-Claude Perrier

Le dernier Biamonti

Esquisse de roman, Le Silence, ultime texte de Francesco Biamonti, écrivain ligure qui n’a publié que peu et tard, devient une nouvelle parfaite.

Francesco Biamonti est un écrivain confidentiel, né en 1928 et mort en 2001 dans son petit village de San Biagio della Cime, près de Vintimille, qu’il n’a que rarement quitté. Il fut longtemps bibliothécaire avant de se consacrer, selon la légende, à la culture des mimosas. C’est un représentant de ce qu’on appelle de l’autre côté des Alpes « la ligne ligurienne », une école littéraire peu connue ici, très marquée par la phénoménologie et les philosophes, plus que par les romanciers. Sans cesse, Biamonti relisait Sartre, Merleau-Ponty Husserl, Heidegger. Une influence qui a valu à son premier roman, L’Ange d’Avrigue, quelques rebuffades : trop intellectuel, pas assez romanesque. Biamonti finira par le publier, sur le tard, en 1983, chez Einaudi, grâce à son compatriote Italo Calvino, ligurien « en exil ». Il publiera ensuite, à un rythme de sénateur, trois autres livres : Vent largue (1991), Attente sur la mer (1994) et Les Paroles la nuit (1998). Les deux premiers ont été édités en France chez Verdier, qui publie aujourd’hui, posthume, Le Silence. Les deux autres au Seuil.

Le Silence, resté inachevé à la mort de l’écrivain, ce sont vingt-neuf feuillets dactylographiés. L’ébauche d’un roman d’amour entre deux personnages à l’histoire étrange : Edoardo, un ancien marin, et Lisa, veuve à vingt ans d’un mari terroriste. Belle, forte, Lisa s’occupe aussi de son amie malade, Hélène, une Française, à qui l’unissent des liens mystérieux. L’histoire se déroule entre la Riviera ligure et la Côte d’Azur toute proche. S’il avait pu mener son livre à terme, Biamonti aurait souhaité y raconter « les désastres des idéologies moribondes ». Vaste programme. Tel quel, le texte, où s’entremêlent les destins des deux principaux protagonistes qui se font assez confiance pour se dévoiler petit à petit leurs passés, et où commence à se nouer leur amour, est superbe. Tout en délicatesse. Sans conteste, Biamonti tenait enfin son roman réellement romanesque. On ne le lira pas. Reste Le Silence, avec son titre prémonitoire, devenu une nouvelle parfaite ainsi, figée à jamais dans son mystère.