Livres hebdo, 28 mai 2010, par Jean-Claude Perrier

Le garçon et l’amour

Sensible et élégant, le portrait d’un garçon particulier.

Il est des amours d’enfance qui ne s’oublient jamais. Surtout les amours particulières et inassouvies. Ainsi, c’est parce que Bastien, tombé tout gosse amoureux de Nicolas, un copain d’école plutôt disgracieux et maltraité par les autres, n’a jamais osé lui déclarer sa flamme avant que celui-ci ne meure dans un accident de voiture, et se l’est toujours reproché, qu’il a décidé d’offrir son corps à tous les hommes qu’il rencontrera et qui le désireront. À commencer par ses deux frères aînés, Emmanuel et Christophe, à l’adolescence, à qui ce cadet un peu bizarre a proposé quelques jeux sexuels dépassant la simple connivence fraternelle au sein d’une famille unie, aimante et sans autre présence féminine que leur mère. Ce pourquoi, peut-être, Bastien prit vite l’habitude de se travestir en fille, à l’aide des vêtements conservés de sa grand-mère défunte. Sa mère et son père savaient, laissaient faire, ne s’inquiétant pas pour leur petit dernier, dont tout le monde avait décelé et respectait l’intelligence, le goût pour la solitude et l’intériorité.

Plus tard encore, Bastien, jeune homme, modelant et exerçant son corps dans la randonnée, l’escalade à mains nues, mettra en pratique sa détermination, la poussant même plus loin : entraîné là par un de ses amants, il deviendra acteur de films porno gays, où il s’offre toujours dans la même mise en scène. C’est ainsi que le narrateur a fait la « connaissance » de son modèle : sur des cassettes qu’il se repasse ad libitum, sur quoi il fantasme, se bâtissant dans sa tête d’autres histoires, d’autres films, dont il pourrait cette fois être le héros, participer à l’action. C’est d’ailleurs sur cet espoir que celui qui dit « je », qui apparaît parfois au détour d’une page, peintre comme Vermeer se représentant dans un miroir œuvrant dans son propre atelier, achève son livre : « Un jour, j’irai à Bongue. »

Chacun son rêve. Celui de Mathieu Riboulet est sensible et fragile, tout en élégance même dans la crudité, avec flash-back et arabesques. Dans le grand fracas de la rentrée littéraire, il ne faudrait pas passer à côté de cette petite musique de chambre. Obscure.