Télérama, 31 octobre 2012, par Michel Abescat

Qu’est-il donc allé chercher sur les routes d’Allemagne, le narrateur de ce texte subtil et précieux, infiniment humain, érudit et sulfureux ? Qu’est-il donc allé chercher sur les chemins tortueux de l’histoire, cet homme à la mémoire si lourde ? Des bribes de réponses à des questions incommensurables ? Une quête d’amour et de sexe comme défi à la mort ? Hanté par les conflits du 20e siècle, en particulier par la tragédie de 14-18 et le souvenir brûlant d’un hameau dont tous les hommes ont été décimés, poursuivi par des souvenirs d’un temps qu’il n’a pas connu – il est né quinze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale –, il part en Allemagne pour voir dans le corps même de l’ancien ennemi la trace de ces guerres qui ruinent sa mémoire. Invitant Andreas, son amant de Cologne, à donner chair à l’invisible, à incarner une possible réconciliation.

« Je veux prendre la mesure de ces folies absurdes toujours recommencées ; mais qui suis-je pour me lancer dans une telle entreprise et de quoi disposé-je, des livres, de la peinture, quelques notes de musique, et la conscience aiguë du poids sur mes épaules ? » Et c’est ainsi toutes les violences que s’infligent les hommes que le narrateur finit par interroger, explorant jusqu’au vertige le corps et le geste du bourreau, le corps et les gestes des amants : comment se prend-on « quand on se propose de s’entre-tuer » ? Convoquant les artistes et les écrivains comme autant de planches de salut, Pina Bausch, Sebald, Dagerman. Et le Caravage, dont le tableau intitulé Les Sept Œuvres de miséricorde va donner au livre son cadre. Ces impératifs moraux qui s’imposent aux chrétiens – vêtir ceux qui sont nus, donner à manger à ceux qui ont faim… –, que le narrateur va détourner et mettre à l’épreuve. Récit, essai, méditation tout à la fois, ce livre inclassable poursuit ainsi un chemin éblouissant, aussi rude que bouleversant, porté par cette question en forme de leitmotiv : « Que faire de tous ces morts, où vivre, comment s’aimer ? »