Têtu, septembre 2010, par Baptiste Liger

Cover boy

Hardeur gay et Sœur de la Perpétuelle Indulgence, le Bastien de Mathieu Riboulet est aussi resté le petit garçon en deuil de son camarade d’école. Lumineux et émouvant : l’un des plus beaux romans de la rentrée.

En chaque homme, il y a un spectateur de films pornographiques qui sommeille – enfin, qui sommeille… C’est le cas du personnage du dernier roman de Mathieu Riboulet, Avec Bastien, qui en visionnant une vidéo fait la rencontre virtuelle d’un garçon à qui, si l’on en croit la première page, on aurait donné le bon Dieu sans confession, à juste titre d’ailleurs, puisqu’il en avait, de toute évidence, bel usage ».

Qui est ce blondinet, objet de tous les désirs ? C’est à cette question que Mathieu Riboulet, écrivain discret, tente de répondre, dans la splendeur d’une langue classique. Car pour cet admirateur de Proust et Sade, tout est question de style – tout comme chez quelques auteurs de la même école : Pierre Bergounioux, Pierre Michon, Marie-Hélène Lafon, voire le Richard Millet des bons jours… « Vous savez, je ne passe pas mon temps à réécrire sans cesse la même phrase. Mais si le flux général de la phrase me vient comme ça, il me faut beaucoup de temps à trouver le ton juste, la position du narrateur par rapport à un personnage… »

Autant son précédent ouvrage, L’Amant des morts, était crépusculaire (il y était question d’inceste père-fils et du sida), autant Avec Bastien paraît solaire, léger, même dans le drame. « C’est complètement conscient, reconnaît l’auteur. Il fallait absolument que je change de registre, d’atmosphère. On écrit toujours en opposition ou en contradiction avec ce que l’on a fait juste avant. J’ai souhaité là aller du côté de la lumière. » Une formule qui rappelle, paradoxalement, ces paroles de survivants à une expérience de mort approchée… Même si, on le sait, Éros et Thanatos ne sont pas forcément si éloignés.

Avec Bastien peut être lu comme une longue lettre d’amour, presque rose bonbon, contrepoint aux images d’ébats masculins les plus imaginatifs. Et tout le projet de Mathieu Riboulet tient ainsi dans un renversement de la notion de pornographie, qui veut qu’en règle générale tout objet X montre ce que l’on ne saurait voir et résume l’individu à sa seule enveloppe de sex toy vivant. Ici c’est l’inverse, Riboulet expose ce que dissimulent ces « soixante-dix kilos de tissus nerveux, musculeux, de sang, d’os et d’eau parcourus d’un long souffle, réunis par mille pensées éparses ». Derrière le hardeur souilleur ou souillé, c’est le portrait d’un homme, une vie, une identité.

Qui est Bastien ? Quel enfant a pu être ce régisseur de théâtre, cet acteur X occasionnel ? D’abord un petit Corrézien du hameau de Bongue, qui vivait avec sa mère et ses deux frères aînés, un gamin malin et sensible, amateur d’escalade, marqué à jamais par l’amour porté à l’un de ses camarades d’école au physique ingrat, malmené par les autres et qui disparaîtra dans un accident de voiture. Quel sens donner alors à ce désir de Bastien de s’habiller en fille ? À son engagement parmi les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence (ces nonnes LGBT pas comme les autres), cet « ordre pauvre, agnostique et désiroire de folles hystériques et radicales » ?

Une autre question s’impose au regard de la présentation de l’éditeur qui parle d’Avec Bastien comme d’un « récit ». Ce garçon existerait-il vraiment ? Est-ce un fantasme ? Le mélange de plusieurs garçons, réels ou imaginaires ? « Je réponds dès la première phrase : « Appelons-le Bastien ». s’amuse Riboulet non sans malice. C’est une affaire de glissement de sens : on entend aujourd’hui par récit une sorte de déballage. Mais, pour moi, récit signifie tout simplement histoire. Je préfère le terme de « portrait », utilisé dans le livre. » Alors on pousse un peu plus loin : ne peut-on lire cet opuscule comme une sorte d’autoportrait ? « Qui sait… »