Elle, 5 octobre 2012, par Héléna Villovitch

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Avec Petite table, sois mise !, Anne Serre intrigue, déconcerte, mais aussi séduit. Émerveillement, naïveté et absence de jugement moral dessinent autour de la narration un halo halluciné. Comme si la petite fille, actrice des ébats érotiques évoqués précisément, mais sans ostentation, évoluait dans un univers parallèle, où les termes « inceste » et « abus sexuel » n’auraient pas cours. Début des années 70, le récit – stupéfiant – s’ouvre sur ces mots  : « La première fois que je vis mon père vêtu en fille, j’avais 7 ans. » Puis viennent les descriptions affectueuses (l’amour filial est présent tout au long du livre) d’une mère aux mœurs sexuelles débridées qui partage généreusement le corps de ses filles avec les invités de la maison. Dans quel registre est-on ? Lit-on un ouvrage pornographique (qui, d’ailleurs, fait référence à Sade sans ambiguïté) ? La piste autobiographique s’ouvre largement sous nos yeux, mais la dénonciation du traumatisme et la résilience sont-elles le sujet ? Non, car la narratrice, à travers des ellipses vertigineuses, retrace un parcours non dénué de logique où s’enchaînent une enfance bizarroïde et une vocation d’écrivaine. Même le livre refermé, un étrange enchantement continue de nous accompagner.