Expressions, mars 2011, par Jacky Flenoir

Sur les traces de Salgon

Chaos-mondes

Inattendu, surprenant, j’achève de lire le dernier ouvrage de Jean-Jacques Salgon, Ma vie à Saint-Domingue, un récit sur la vie de Toussaint-Louverture, lorsque j’apprends la mort du romancier, poète et philosophe antillais, Édouard Glissant. J’insiste sur le mot inattendu quant à l’écrivain martiniquais, pour qui « la créolisation, c’est un métissage d’arts ou de langages qui produit de l’inattendu ». Soutenant la notion de « chaos-monde », ou la nécessité d’un entremêlement des cultures, de partage et d’« hybridation ». Motivé par l’action politique, révolté par les outrages du colonialisme, il écrira en 1961 une pièce de théâtre intitulée Monsieur Toussaint. Inattendu ?

L’autobiographie d’un autre

Jean-Jacques Salgon aime le hasard, se laisser entraîner vers l’ailleurs, les liens et les lieux. Une curiosité d’esprit toute naturelle, il digresse, il vagabonde : le pèlerinage est son mode d’écriture. Au chemin, il préfère le sentier. En 1972, une pièce d’Ariane Mnouchkine sur Toussaint-Louverture crée l’émotion : l’homme incarne la révolte et la liberté, thèmes chers à l’écrivain. « J’ai fait mienne cette histoire, qui en réalité était déjà mienne sans que je le sache », confie-t-il à propos du héros de la révolution à Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti), père et martyr de l’indépendance. Quoique sur la vie de Toussaint-Louverture, le livre n’est pas une biographie historique, mais un enchevêtrement d’événements et d’anecdotes, où l’auteur, se jouant du temps, opère un retour sur soi, mettant en abîme sa propre révolte avec celle de son personnage. C’est passionnant et très attachant. Comme lorsqu’en 2008 paraissait Le Roi des Zoulous, récit fragmentaire sur les traces du peintre noir américain Jean-Michel Basquiat, révolté lui aussi, et ô combien épris de liberté.

Les sources du Nil

« Mettre mes pas dans les pas d’un autre » : Jean-Jacques Salgon en a suivi, des traces… Rimbaud à Massawa, René Caillé à Tombouctou, Tintin et Milou dans le tombeau de Kih-Oskh, SAMO sur les trottoirs de SoHo… et pourquoi ne pas endosser le costume d’aventurier d’un John Hanning Speke1et découvrir les sources du Nil… à La Rochelle ! Sous l’influence toute « gracquienne » de La Forme d’une ville, est paru ce livre merveilleux2, suite de récits d’explorations de lieux rochelais, de préférence silencieux ou désaffectés : un ruisseau ou une voie de chemin de fer, un musée ou un cimetière. Et l’écrivain François Bon de conclure : « La ville n’est pas si grande : mais elle devient comme une conquête d’enfant, ce grand adulte à pied ou en vélo qu’est l’écrivain3. »

1. Explorateur britannique à qui l’on attribue la découverte des sources du Nil à la fin du 19e siècle.

2. Les Sources du Nil, L’Escampette éditions, 2005.

3. Cf. le site le Tiers livre.