La Quinzaine littéraire, 1er mars 2001, par Norbert Czarny

En courant les rues

Les parcours de Réda sont avant tout des parcours de mots, des parcours suscités par les mots, ou suscitant l’écriture. On pourrait écrire de lui ce qu’il écrit des Portugais qu’il évoque dans Le Lit de la reine : « Les gens ne vivent en somme que par le langage et dans le langage, tout le reste fait partie d’un décor aux allures changeantes et interchangeables qui ne les intéresse pas. » Les lieux sont des métaphores ou des comparaisons, comme cette Porte Saint-Martin qu’il nous donne à reconsidérer : « Nettoyée et enfin débarrassée des bâches qui l’enveloppaient, [elle] ressemble à une géante motte de beurre. » Ou encore une gare parisienne : « Entre les cubes énormes qu’on a disposés autour d’elle, la gare de Lyon, qui fut monumentale, semble s’être réduite aux proportions d’un gros bibelot. » Les lieux apparaissent dans des rêves, comme la rue Titon célébrée en un récit, ou produisent des métamorphoses semblables à celles que l’on trouve dans les contes.

En chaque poète sommeille un cratylien qui voudrait bien voir dans les mots l’imitation des choses qu’elles désignent et Réda n’est pas en reste qui discerne dans l’accent vaudois des Lausannois quelque chose du lac qu’ils ont devant eux : « c’est un accent un peu dolent chantant d’un débit assez lent comme une berceuse. Il y a du lac en lui, de son immobilité liquide qui sans cesse se nuance, et de son apparente aménité. »

Le monde prend sens par les mots, par les sédiments que laissent les livres et les paroles des poètes, comme la Gare d’Atocha, à Madrid, avec son hall en forme de serre qui rappelle à la fois les rêves surréalistes et le « salon rimbaldien au fond d’un lac ». La métamorphose est constante, et donne à lire l’espace comme un grand livre ouvert.

Il y a dans ces pages une familiarité, une connivence qui les transforme en conversation entre rêveurs et étourdis, prêts à se rendre rue du Retrait pour acheter un escabeau qui se transformera en étagère incertaine pour des livres aussi peu sûrs de tenir que des vers mal bâtis dans un poème qui se cherche. On se sent heureux d’être rêveur et étourdi, dans ces conditions.