La Voix du Nord, 28 novembre 1998, par Hervé Leroy

Un écrivain du Nord trace son chemin

Qui est Dominique Sampiero ? Né le 15 novembre 1954 au Quesnoy, il s’est construit, pierre à pierre, source après source, un nom d’écrivain. Instituteur dans le Denaisis, directeur d’école maternelle, il a derrière lui de nombreux recueils, quelques solides inimitiés, une collection de prix, une réputation de souffre et de mystère, un regard grand ouvert.

À force de se frotter aux écritures, la sienne, celle des autres – le poète est buvard, aussi – Sampiero touche, aujourd’hui, à la grâce de la maturité. Après La Lumière du deuil, il vient de publier, toujours chez Verdier, Le Dragon et la ramure. Comme dans le précédent récit, poème ou prose n’ont plus de frontières. Ne reste que le chant. Entre la malédiction d’être au monde (le dragon) et la rédemption née de l’amour (la ramure), entre la vie et sa représentation, cet ouvrage est un miracle, dans le sens littéraire et moyenâgeux du terme.

Le sacré et le païen

À la nuance près qu’ici le sacré et le païen n’ont plus de sens. Avec « la brebis de ton rire », nous ne sommes pas loin du Cantique des cantiques… « Tes dents comme un troupeau de brebis remontant du lavoir. » Le Dragon et la ramure est un livre sur la transmission, sur le passage… De la connaissance, de la matière, de la vie, de la mort.

Justin, orphelin, né de mère morte en couches, apprend l’art de l’enluminure dans un monastère, aux côtés de Sawalo. L’amour d’Agate l’éloignera de la vie monacale, mais par temps de famine, de racines mortes, de terre dévastée, il retrouvera la chimie des moines, se couchera à jamais dans le saloir, pour une offrande du corps à l’amour, à Agate, à demain, au fils à naître. Dominique Sampiero a beaucoup appris des peintres. La couleur et la matière. « La nuit blanche » du saloir et « les pommiers sèment de la neige dans les fleurs. » Le rouge sang. L’enluminure. Le secret des mélanges. L’élixir.

Les jours de noces, certaines scènes paysannes ont la truculence et la charge émotionnelle d’un Bruegel l’Ancien. « Les cornemuses coupèrent en deux la lumière. Leur stridence lança le tourbillon. On déplaça la couronne pour la fixer sur un voile. Des fossés furent creusés à même le sol : on s’asseyait sur les bords, pour boire et manger encore. Pieds frappant la terre battue. Sexes bandés tirant les linges. Baisers. Coiffes blanches. Jupes-sang. Tabliers-neige. »

La terre du Nord

Rien, ici, ne serait dit sans le plaisir de citer quelques fulgurances… L’accouchement : « Le sang roule dans son ventre et glisse entre ses jambes comme une étoffe, un sang rouge et terne, mauvais comme un rapace, un sang qui toute la vie tournera dans notre corps comme une écharpe, une bête en cage, une étoile. » L’annonce de l’enfant : « Elle avait du rire plein les yeux, sur sa bouche, dans ses joues, du rire comme de la rosée, une rivière, des baies sauvages, un champ de colza. »

Sampiero n’est pas un écrivain régional, mais il est tout entier enraciné dans la terre du Nord. Ses livres traversent les paysages de son Avesnois natal. Un écrivain d’ici trace son chemin.

Par-delà Jean-Claude Lefebvre (son vrai nom), sa complexité d’homme, son secret, un miracle né du travail et de la nuit s’accomplit. Le miracle de l’écriture. Sampiero est là. Vivant. Debout. Sauvé.