La Liberté, 7 octobre 2000, par J. S.

Olivier Rolin nous tire (le portrait de) la langue

Commandé par France Culture, un texte comme manifeste pour une écriture vivante.

En juillet dernier était créé en Avignon La Langue, texte d’Olivier Rolin commandé par France Culture. Aujourd’hui c’est un petit livre riche et tout d’abord déroutant.

Dans un bistrot, un client parle avec une serveuse. D’abord énervée par cet intellectuel qui raconte des histoires abracadabrantes de maison sous la mer et de voyages sur la lune, la jeune femme prend peu à peu part à la discussion et conte sa propre quête de la beauté. Sporadiquement, une voix « off » égrène les nouvelles du monde dans un sabir loufoque. Au bout du compte, l’homme et la jeune femme s’évaderont dans un délire onirique.

Faire la pluie

Que nous dit là Olivier Rolin ? Il tire le portrait de la langue, donc de l’écrivain, qui devrait être porteur d’un irréductible langage. Comment créer la beauté ? Un questionnement taraudant en écho à Paul Valéry : « Un poète ne doit pas dire qu’il pleut : il doit faire de la pluie. » L’écrivain, comme le notait Chateaubriand, est « mal placé ». Ni témoin de son époque ni chantre d’une cause, il crée « un art tumultueux, emporté, où travaille et fait l’œuvre non ce qui fixe et localise, ou enracine, mais au contraire ce qui déplace, dérègle, agite et déracine ». Olivier Rolin insiste : la langue doit être une création sans cesse, en puisant dans toutes ses formes possibles, et aux frontières des autres langues.

L’ectoplasme qui, en voix « off », débite les informations, c’est pour Rolin une langue mise à plat, calibrée, lissée, épurée. Tout comme l’académisme et les formes creuses de la littérature.

Être né troué

Les écrivains ont des mots différents, par manque. « Je suis né troué », écrivait Henri Michaux, et dans ce trou souffle le « vent terrible » de la langue. C’est « l’en moi », l’irrépressible liberté de celui qui poétise.

Valère Novarina disait à peu de chose près cette même exigence : « Les mots ne viennent pas montrer des choses, mais d’abord les briser et les renverser », et « le réel n’apparaît un instant qu’à celui qui le déchire » (Devant la parole, P.O.L, 1999). Avec ce dialogue drôle et caustique, Olivier Rolin nous offre une poétique d’une grande exigence pour continuer à, créer la langue, et non la consommer passivement, c’est-à-dire la tuer par dessèchement.