Le Nouvel Observateur, 5 mai 2011, par Jérôme Garcin

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C’est un petit livre érudit et cocasse désormais introuvable. Dommage que son auteur, entré depuis dans la légende, l’ait retiré de sa bibliographie. Paru chez Flammarion, en 1968, il s’intitulait lesCritiques littéraires et il était signé… Bernard Pivot. Le jeune journaliste du Figaro y portraiturait les grands chroniqueurs de jadis et de son temps, parmi lesquels Maurice Nadeau, dont France Culture va célébrer, le 21 mai, le centenaire de la naissance.

De celui qui était alors essayiste, directeur de la Quinzaine littéraire, éditeur chez Denoël et membre du jury Renaudot, Pivot écrivait : « C’est le meilleur », ajoutant que cela n’allait pas « sans un certain terrorisme, parfois injuste, contre tout ce qui est classique, bien écrit, trop bourgeois. »

Voici peut-être le secret de sa longévité, de sa persistante jeunesse : l’homme qu’on s’apprête à honorer n’a jamais donné dans le consensus. Il incarne, mieux qu’aucun autre critique, le célèbre « Sans la liberté de blâmer il n’est point d’éloge flatteur », de Beaumarchais. Pour en juger, il suffit de relire son autobiographie, Grâces leur soient rendues (1990), ou de lire Le Chemin de la vie, ses entretiens avec Laure Adler.

D’un côté, il y a le Nadeau visionnaire qui découvre Beckett, Sciascia, Cioran, Henry Miller, à qui l’on doit les premières traductions de Lowry, Gombrowicz, Chalamov, Coetzee, et qui publie des inconnus nommés Perec, Rinaldi, Bianciotti, ou Houellebecq.

De l’autre, l’intraitable et flaubertien Nadeau, qui condamne, en grognant, Camus, Paulhan, Mauriac, Malraux, Breton, malmène Duras et Robbe-Grillet, juge que, depuis Extension du domaine de la lutte, Houellebecq est un « bricoleur », et se traite lui-même de « critique lourdaud et pédagogue ».

À Laure Adler, il confie qu’il est « tout près de l’éternité ». Le fils d’une femme de ménage et d’un jeune mort de Verdun s’y présentera sans avoir jamais triché. C’est rare, dans ce métier.