La Libre Belgique, 30 août 2002, par Marie-France Renard

 Les femmes et la création, portraits

Une étonnante évocation de corps à corps, recomposés dans le rêve et le fantasme.

Cristina Comencini est une merveilleuse romancière. Comme ses livres précédents – Les Pages arrachées (1995), Passion de famille (1997) ou Sœurs (1999) –, Matriochka déploie un même talent d’écriture au service d’une étude précise et subtile de la complexité des destins.

Deux femmes s’affrontent, se jaugent, se cherchent : Antonia, sculpteur célèbre, que l’âge a figée dans un corps énorme, monumental, et qui se sait condamnée par une maladie incurable ; Chiara, une jeune romancière qui doute de son talent et se replie, frustrée, sur l’écriture de biographies. La première fait appel aux services de la seconde. Entre ces femmes s’instaure, au fil des conversations, une relation intense, ambivalente ; et leurs passés, revisités, entrent en étrange correspondance.

Le travail d’écriture de Chiara l’entraîne dans une espèce d’enquête qui va lui permettre de prendre conscience des différentes images de femmes qui la constituent, et de découvrir les non-dits de sa petite enfance. Quant à la parole d’Antonia, elle ressuscitera, au seuil de la mort, les étapes antérieures de sa personnalité transgressive, hors du commun, modelée par l’art. Matriochka : emboîtement de poupées russes, vies gigognes, entrelacs infinis d’existences. Comme le dit Chiara, « chaque histoire en engendre d’autres, de la plus petite à la plus grande, et le monde n’est que leur immense et infini contenant ».

Si les figures masculines – pères, frères, époux, amants – sont scrutées et remémorées dans l’urgence de la passion, ce sont, toutefois, sans conteste, les relations mère-fille qui l’emportent dans la précision et l’âpreté de l’analyse. Celles-ci se déclinent d’ailleurs en de multiples variantes : la mère absente, la mère parfaite, la mère indifférente, avec, comme chevillée à ces divers états, une interrogation serrée sur ce qu’est la création au féminin.

Cristina Comencini nous propose ainsi une étonnante évocation de corps à corps, sculptés dans le bronze, recomposés (ou décomposés) dans le rêve et le fantasme, et sa réflexion sur les enjeux de l’art dans la vie (musique, sculpture, écriture) déploie les infinies possibilités de l’existence. Une écriture sobre et efficace, qui vise à l’essentiel, en ménageant ses effets. Passionnant comme un thriller. Mieux, peut-être.