Archiscopie, octobre 2007, par Armelle Lavalou

La monographie consacrée à Georges‑Henri Pingusson parue en 2006, un épais volume à l’italienne lourd de 450 pages et 250 illustrations, comble un vide. Rien n’existait jusqu’alors sur l’œuvre de ce héraut discret de l’architecture moderne, actif de la fin des années vingt au début des années quatre-vingt, auteur de deux œuvres majeures, l’hôtel Latitude 43 de Saint‑Tropez et le mémorial des Martyrs de la déportation de la pointe de l’île de la Cité à Paris, dont l’extrême densité organisée autour d’un vide subjugue chacun. La publication de cet ouvrage fait suite à un doctorat que l’auteur, Simon Texier, a mené sous la direction de Bruno Foucart. Elle s’appuie sur un ensemble exceptionnel de documents graphiques et de textes conservés à la Cité de l’architecture et du patrimoine au Centre d’archives d’architecture du XXe siècle / IFA.

Assez elliptique pour ce qui concerne les années de formation de l’architecte né à Clermont-­Ferrand, d’abord ingénieur de l’École supérieure de mécanique et d’électricité, peintre à ses heures, voyageur polyglotte, aviateur, musicien, l’ouvrage balaie ensuite par le menu tous ses projets et réalisations. Du régionalisme des premières villas «ni honteuses, ni décisives» réalisées en association avec Paul Furiet à la démonstration qu’apporte l’hôtel Latitude 43, il n’y eut qu’un pas, grâce à une rencontre fortuite faite un soir dans le port de Sainte‑Maxime, quand Pingusson, lovant ses voiles mouillées au retour d’une journée en mer, s’entendit inviter à dîner sur le bateau voisin par un parfait inconnu. Celui‑ci, séduit par les élucubrations de son invité sur les vertus de l’hospitalité, décidera quelques semaines plus tard de lui confier la réalisation d’un hôtel sur les hauteurs de Saint‑Tropez. Pour cet établissement qualifié de «monastère des temps modernes», grand vaisseau immaculé (originellement ocre) échoué dans la pinède, Pingusson invente un système de coursive décalée afin que les chambres traversantes profitent à la fois de la lumière du midi et de la vue vers la mer (le village et le golfe sont orientés, une fois n’est pas coutume, vers le nord) un système d’éclairage bilatéral qu’il s’emploiera à appliquer par la suite dans de nombreux projets. Il dessine tout le mobilier jusqu’aux couverts et livrées des grooms. La publication de cette première œuvre personnelle dans L’Architecture d’aujourd’hui en 1932 lui apporte une notoriété immédiate. Le bâtiment remanié et agrandi avant la Seconde Guerre mondiale prend un statut d’icône de l’architecture moderne, associée au style paquebot. Pingusson est désormais un architecte de premier plan ; il se rapproche de Mallet‑Stevens, devient actif au sein de l’UAM, puis à Formes utiles, prend position dans les revues, milite au Syndicat des architectes de la Seine dont le journal devient pour lui une tribune – c’est un magnifique écrivain –, enseigne à l’École des beaux‑arts, puis à Up5… L’architecte reste cependant à la marge d’un milieu sans doute trop affairiste pour sa sensibilité.

Simon Texier passe en revue de manière minutieuse et cultivée une production foisonnante où se croisent le théâtre des Menus Plaisirs à Paris, la centrale thermique de Vitry‑sur‑Seine, le pavillon de l’UAM à l’exposition universelle de 1937 (en association avec Jourdain et Louis), des objets mobiliers dont une automobile et un combiné téléphonique, pour arriver après‑guerre à la reconstruction de la Sarre, du village de Waidwisse.

Il évoque aussi les plans d’urbanisme de villes de Moselle dont Briey‑la‑Forêt où Pingusson invite Le Corbusier à construire, des églises en Moselle toujours, telle celle de Boust pour laquelle Pingusson défend avant Vatican II le plan centré, des logements sociaux (Noisiel, Bures‑Orsay…), l’immeuble ternisien de Boulogne sur plan triangulaire qui intègre les restes d’une maison du même Le Corbusier, d’autres chantiers encore. Il termine par le travail totalement original, précurseur des préoccupations écologiques actuelles, qui occupa les dernières années de la vie de l’architecte : la rénovation d’un petit bourg des Hauts de Provence, le village de Grillon, dont il fit un laboratoire de construction pour ses élèves architectes. Pari pédagogique et architectural que Simon Texier voit comme le testament de l’architecte, l’occasion d’un dialogue réussi entre vieilles pierres et idéaux modernes. […]