Fenêtres sur cours, 19 octobre 2009, par René Marx

C’est un livre difficile : il s’agit de suivre une pensée complexe, fondée sur une connaissance approfondie de l’histoire du cinéma, de celles de ses techniques, une intimité avec ses inventeurs (Plateau, Marey, Lumière, Renoir, Welles, Godard) mais aussi ses penseurs (Bazin ou Daney et, avec un angle particulier, Debord). Mais Jean-Louis Comolli ne s’exprime pas seulement comme critique ou philosophe, il est un cinéaste lui-même et s’est posé en pratique toutes les questions théoriques décisives qu’il aborde dans ce livre. Si on a pris son souffle, si on plonge dans ces deux-cent-quarante deux pages de rigueur et d’enthousiasme, on sera récompensé, heureux de suivre le cours de cette pensée-là. Le livre est construit en deux morceaux, sur une sorte de flash-back. La deuxième partie est, bizarrement, la plus ancienne. Un très long article, inachevé, intitulé « Technique et idéologie », publié dans Les Cahiers du cinéma en 1971-1972. C’est l’époque glorieuse du militantisme radical, souvent du galimatias marxisto-incompréhensible, l’époque des anathèmes. Ces pages, pourtant, sont enthousiasmantes. Comme si au milieu des jargonnants, Comolli avait gardé, à l’époque, une expression claire, articulée, et toujours passionnante un tiers de siècle plus tard. L’œuf ou la poule, la technique ou l’idéologie, la profondeur de champ et la transparence, l’idéalisme qui prend le cinéma pour un art, une vérité, le matérialisme qui veut mener le combat même quand il s’agit de films. Ce texte ancien est précédé par une très longue introduction contemporaine, qui reprend certains de ses éléments, à la lumière de l’expérience, et rajoute de très nombreuses pistes. Le spectacle a gagné, dit Comolli, le monde est dévoré par les images, elles se substituent au réel. C’est peut-être le spectateur conscient, critique, qui pourra s’extirper de cette malédiction et lutter contre les images par ce qu’il sait du cinéma. On aura compris à quel point ce livre est important aujourd’hui.