CCP, octobre 2012, par Claude Chambard

On ne sort pas indemne de la lecture de L’inquiétude d’être au monde comme on ne ressort pas indemne d’une lecture de ce texte par son auteur. « Il n’y a pas de remède à notre inquiétude. Ne cherchons pas dans le monde la parole, le mot, la figure de consolation. Essayons de nous tenir, dans l’inquiétude, sans nous soumettre. » Cette phrase de Stig Dagerman citée par Camille de Toledo résume, me semble-t-il, parfaitement ce qu’il tente dans ce mince livre absolument nécessaire. Tout commence, si l’on peut dire, par un père qui attend inquiet son enfant & Anna Magnani qui crie Ettore – dans lequel on entend Terrore – dans Mamma Roma de Pasolini. On nous console de mots-endettés alors que « nous consommons notre propre / chagrin », nous repeignons le petit portillon chaque année qui nous sépare de la barbarie, alors que c’est dans l’entre-des-langues que nous « devons apprendre à vivre, / dans l’inquiétude de toute chose », Utøya, Columbine, les tsunamis nous fracassent, nous vivons dans l’inquiétude, quelques auteurs nous accompagnent vers le désastre, aident Camille de Toledo à bâtir son chant, constitué de phrases et de vers, lyriques, dans une Europe, un monde, aux effroyables replis identitaires et dans un « âge numérique / ou plus rien ne distingue / le vrai du faux. »