Études, juin 2011, par Bruno Pinchard

Ce livre du grand historien italien appartient au genre récapitulatif auquel peuvent se prêter les maîtres quand ils ont accédé à une notoriété majeure. Non que Carlo Ginzburg se répète ou se contente de se citer dans ce livre foisonnant où la micro-histoire – sa spécialité – est mise à l’épreuve sur tous ses terrains de prédilection. Mais le livre (qui est en réalité une reprise augmentée et révisée de Mythes emblèmes traces) cherche plus à nous faire apprécier les effets induits par une méthode qu’à avancer des thèses. Carlo Ginzburg s’engage plutôt dans le jeu subtil du faux et du vrai, de l’imposture, de la fiction, du subjectivisme de l’historien et de son scepticisme spontané. Ici la grossièreté serait de conclure. Le propos en arrive à une telle maîtrise de l’ambiguïté qu’il suffit de faire des signes et de créer des attentes : et comment s’en étonner chez un historien du chamanisme et des sabbats ? Si l’on voulait traverser en quelques mots ce dossier où Montaigne, Voltaire, Stendhal, le prétendu Protocole des Sages de Sion, Flaubert et tant d’autres rivalisent d’ingéniosités équivoques, il faudrait suggérer que l’historien ne sait jamais comment se croisent le sujet et l’objet dans son savoir, qu’il lui faut entendre la parole du témoin dans sa fragilité et la confronter à la partialité de sa propre écriture. La croyance en une réalité historique indiscutable en ressort bien amoindrie, mais c’est pour faire place à la présomption d’innocence que nous devons accorder au témoignage, quelles que soient les fictions dont il se travestit pour se faire entendre : jusqu’à ce que le survivant, fût-il unique, arrive à faire basculer des pans entiers du savoir et à imposer sa plainte solitaire comme le critère de l’universel.